"Se mobiliser, innover, s’adapter "
Céline Abidon est ingénieur viticole à l’Institut français de la vigne et du vin.
En quoi la recherche publique et/ou privée est-elle indispensable pour lutter contre les maladies de la vigne ?
Les dépérissements de la vigne sont généralisés à tout le vignoble français et sont issus de phénomènes complexes, souvent mal connus, soit parce que ces voies de recherche ont été peu explorées ou que les méthodes scientifiques ne le permettaient pas. Sans moyens de lutte efficace, les viticulteurs se retrouvent désarmés et il est essentiel de soutenir les efforts de recherche. La filière vitivinicole a décidé de déclarer le dépérissement du vignoble comme une priorité nationale, avec l’intention de privilégier une approche systémique en travaillant sur la réduction des effets et pas seulement sur la compréhension des causes. Il s’agit également d’avoir une approche interdisciplinaire dans laquelle des agronomes, des économistes, des pathologistes, des généticiens, sont amenés à travailler ensemble. La profession viticole représentée par le CNIV, avec le soutien de FranceAgriMer, du ministère de l’Agriculture, de l’Institut français de la vigne et du vin ont uni leurs forces pour engager le Plan national dépérissement du vignoble. Philosophie générale, méthode de gouvernance collective, approche scientifique, engagements budgétaires : c’est un véritable plan de bataille qui a été enclenché. Les moyens financiers sont d’ailleurs à la hauteur des enjeux. Au total, 10,5 millions d’euros sont engagés sur 3 ans (2017/2020), à parité entre Etat et profession.
Quels sont les freins que vous observez dans votre travail de recherche ?
Plus que les freins à la recherche ce sont plutôt les difficultés à appréhender ce phénomène complexe qu’il faut souligner. Car les dépérissements ne sont pas uniquement liés aux maladies du bois, mais résultent d’un ensemble d’agressions de facteurs biologiques, climatiques et techniques. Ainsi, ce sont différentes formes de dépérissements qui conduisent à une baisse de rendement et à la mort prématurée du cep. Nous ne sommes pas face à une cause unique. Plus de 70 facteurs impactent plus ou moins directement le dépérissement des ceps de vigne. Ils sont biologiques (virus, ravageurs), physiques (stress hydrique) ou liés aux pratiques culturales (taille, gestion des maladies, qualité du matériel végétal). Stopper le dépérissement de la vigne, c’est agir contre tous ces facteurs pour préserver la vitalité et la longévité des ceps, donc à terme, la qualité du vignoble français. C’est pour cette raison qu’il est important d’avoir une approche systémique et interdisciplinaire. Le Plan national dépérissement du vignoble répond au besoin de mobilisation de la filière pour assurer la pérennité du vignoble et la compétitivité des entreprises. Et l’enjeu est de taille. Rappelons que la viticulture emploie 558 000 personnes, est le 2e secteur d’exportation français avec 7,8 milliards d’euros, derrière l’aéronautique, étend son empreinte géographique dans 66 départements et fournit près de 16 % du vin disponible sur la planète. "Se mobiliser, innover, s’adapter " constitue le triptyque de l’engagement collectif de toute la filière vitivinicole pour un vignoble sain, durable et pérenne.
Quelles sont les perspectives de lutte contre les maladies du bois de la vigne ?
Des résultats voient le jour actuellement par la mise à profit des résultats de travaux lancés il y a plusieurs années. Mais face à ces maladies complexes, une seule solution ne sera pas satisfaisante. Neuf projets de recherche sont actuellement en cours. Les perspectives portent à la fois sur la lutte curative (avec l’arrivée de nouveaux produits fongiques notamment) mais aussi préventive : innovation dans les pratiques de taille et de gestion du vignoble, innovations en pépinière avec un matériel végétal. Le projet Vitimage piloté par l’IFV avec le soutien du CNRS de Montpellier et le Comité interprofessionnel du vin de Champagne, cherche à comprendre, par exemple, la propagation des pathogènes responsables de la maladie du bois grâce à l’imagerie (rayons X, etc.). De ces travaux découleront des solutions pour améliorer la prévention, la qualité des plants et la maîtrise des risques biologiques liés aux dépérissements. Le projet Eureka, piloté par l’Université de Haute-Alsace, propose une approche multidisciplinaire pour lutter contre la maladie du bois : approche curative via de nouvelles techniques d’endothérapie végétale, nouvelle architecture du pied de vigne comme déjà expérimentée lors de la lutte contre le phylloxera, étude d’impact du greffage et identification des bonnes pratiques culturales. De nombreux résultats concrets, transférables dans les vignobles, sont attendus dans les prochaines années à partir de ces travaux innovants.