Jean-Pierre Vazart, collectif à lui seul

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Qui ne loue pas la gentillesse, l’intérêt porté aux autres, le sens du collectif, la curiosité naturelle, la rigueur et quelques autres qualités en prime du viticulteur récoltant-manipulant/agriculteur de Chouilly ? A ce titre, Jean-Pierre Vazart fait partie de l’espèce rare, dans le vignoble comme ailleurs, de ceux qui font partout l’unanimité. Portrait kaléidoscopique.
JPV1
Sa famille
Des archives signalent la présence de la famille Vazart (de la famille Coquart également) dans le vignoble champenois dès 1785. Mais c’est surtout l’imposante maison de briques rouges, à l’entrée de Chouilly, qui symbolise le berceau familial, depuis son édification en 1865 par Louis-Victor Coquart. C’est déjà à Chouilly que l’arrière-grand-père de Jean-Pierre, Camille Vazart, élaborait du champagne au début du XXe siècle, disposant d’ailleurs d’un centre de pressurage important. Mais enfin, chez les Vazart, on est d’abord agriculteur. Son grand-père, Louis Vazart, et sa grand-mère, Marie Coquart, elle-même fille d’agriculteur, poursuivront naturellement dans cette voie agricole. Louis et Marie auront deux fils (René et Jacques) et une fille (Thérèse). La voie est toute tracée pour les garçons, qui reprennent l’exploitation agricole, sur laquelle on trouve quelques vignes dont le raisin est vendu au négoce. Chouilly a toujours été très tournée vers le négoce. La preuve ? Il n’y a pas de coopérative (hormis Nicolas Feuillatte, bien sûr, qui n’est pas non plus n’importe quelle coopérative…).
 
Son père
Jacques Vazart, 1933-2006. Une figure champenoise. Elevé avec son frère René dans la perspective de succéder à leur parents. Pourtant, au retour de l’armée, Jacques sent bien que la viticulture l’attire. Il a des amis qui font du champagne. Il convainc père et frère de le laisser tenter sa chance, prend des cours du soir, fait des stages. En 1954, il fonde avec eux la marque Vazart-Coquart, en même temps que « sortent » ses premières bouteilles de récoltant-manipulant. Il passe bientôt du statut d’agriculteur avec quelques vignes à celui de viticulteur avec quelques champs. Jean-Pierre Vazart n’a pas changé grand-chose à cela. « Il n’était pas facile de vivre dans l’ombre de mon père. J’ai pourtant travaillé 20 ans avec lui. J’ai beaucoup observé. Il communiquait plus volontiers avec son environnement extérieur qu’avec moi. Il était très pudique en famille. Il y a eu transmission lente, par osmose. Il a toujours mené la barque, même après sa retraite officielle, ce qui explique aussi que je me sois impliqué dans diverses instances. Mais une lignée, on la suit, on est honnête avec elle. Mon père était quelqu’un de profondément honnête. » Et d’une grande exigence aussi – cela en découle naturellement – sur toutes les questions relatives à la qualité et à la déontologie. Par les gènes autant que par l’éducation, chacun sait, dans le vignoble, que Jean-Pierre Vazart est le digne héritier de la lignée.
 
Lui
Deux caractéristiques majeures : on le voit de loin car il est grand (1,97 m) ; c’est un vrai geek, espèce encore rare dans le vignoble.
Sur la taille, inutile de s’étendre : le petit Jean-Pierre a vite grandi, et il est resté grand (sic !). Mais l’éducation, on vient d’en parler, est passée par là. Dans la famille Vazart, le respect de l’autre, jusqu’à l’empathie, était au goût du jour (avant l’heure ?). « L’autre a beaucoup d’importance à mes yeux, et le regard de l’autre n’est pas toujours facile à soutenir, surtout lorsque l’on est timide ». Ce qui fait de Jean-Pierre Vazart un grand… timide. « Je m’attache à ce que pense l’autre. » ‘L’autre’, bien sûr, mais évidemment ‘les autres’, aussi. Il est particulièrement réceptif au caractère collectif des choses, sans pour autant baigner dans la coopération (forcément, il n’y a pas de coopérative à Chouilly, hormis etc…). Ce qui prouverait que l’on peut être récoltant-manipulant et jouer collectif. Pas courant…
Côté nouvelles technologies, ses parents ont été précurseurs de la gestion informatique en Champagne. « En 1981, un truc énorme de chez IBM a débarqué à la maison. » Curieux de nature, Jean-Pierre s’intéresse vite à ce ‘truc’ – un ordinateur. Tant et si bien que les informaticiens du CDER l’appelait directement lorsqu’il fallait corriger quelque vilain bug. Ce sera, cela reste pour lui une vraie passion. « Au lieu d’un cyclomoteur, j’ai eu un ordinateur… »
Il passera le Bac C de l’époque et se serait bien vu informaticien, mais les choses ne sont pas passées ainsi. Il fera donc un BTS viticulture/œnologie. Il regrette de ne pas avoir insisté pour devenir œnologue, mais les choses ne se sont pas passées ainsi non plus. Un dernier petit regret pour la route : ne pas être parti à l’étranger. Passons.
« L’intérêt pour la viticulture n’a pas été inné chez moi, et je n’ai pas grandi dans cet objectif. C’était mon environnement, c’est tout. Mais c’est venu par la suite, avec le travail. » A l’heure du choix (que l’on n’a pas toujours) que requiert la vie, et sans qu’on lui impose quoi que ce soit, Jean-Pierre Vazart a trouvé naturel de prendre la suite paternelle. Il est vrai qu’il gérait déjà l’informatique de l’exploitation. Il a donc rejoint son père en 1991.
 
Son activité
Jean-Pierre Vazart a cette double casquette de viticulteur et d’agriculteur, héritage familial, on l’a vu. Il exploite 11 ha de vignes (à quoi s’ajoute une activité de prestation de services) et 70 ha de terres agricoles (céréales, pois, maïs, colza…). « Il y avait une centaine d’hectares du temps de mon grand-père et de mon père, qui ont été rognés par divers aménagements collectifs : déviation routière, forages, etc… » On sait que la viticulture et l’agriculture engendrent des mentalités différentes. Lui s’enorgueillit de ses racines agricoles. « Elles comptent beaucoup pour moi. D’ailleurs, je n’ai pas de vignes en dehors de Chouilly, entre un et deux kilomètres du centre du village et de ce clocher dont l’agriculteur ne s’éloigne jamais. » Il trouve passionnant de côtoyer l’un et l’autre secteur. « L’agriculture, ça remet les pieds sur terre, le métier de prestataire aussi. La région viticole va bien, mais il n’en est pas de même pour l’agriculture et la prestation de services, qui ne se gèrent pas de la même façon. Cela m’a aidé à mieux appréhender toutes les facettes des activités de la terre. Et à ne pas trop me plaindre. »
 
Son champagne
11 hectares sur le terroir de Chouilly ; 93 % chardonnay, 7 % pinot noir ; 70 000 bouteilles par an ; commercialisation à 45 % sur le marché national et 55 % à l’export ; un peu de vente au kilo pour Veuve Cliquot – il s’entend bien avec Dominique Demarville, chef de cave de la Maison, qui fut son camarade de promotion en BTS.
Sans doute son entrée au club Trésors de Champagne lui a-t-elle fait prendre pleinement conscience de la qualité de son champagne… Quoi qu’il en soit, Jean-Pierre Vazart n’a qu’un seul objectif : maîtriser au plus près sa production pour l’améliorer en permanence. « Je veux faire parler le terroir. Pour cela, il faut donner la priorité à la vigne, en dépit de tous les impondérables qui peuvent survenir. La qualité est déjà à 100 % dans le raisin et mon job consiste à ne pas en perdre une goutte en vinifiant. Je fais donc évoluer régulièrement les choses, mais toujours en relation avec mon œnologue conseil et mon équipe interne – sans oublier mon épouse, Caroline, qui joue un rôle majeur dans l’équilibre que j’ai créé autour de moi. Je ne prends pas de décision sans avoir discuté, débattu, et mon avis n’est jamais définitif si on sait me démontrer son contraire. »
En vérité, il a un deuxième objectif pour le champagne Vazart Coquart : le faire connaître mondialement. « Si je laisse un jour les rênes à ma fille – mais elle n’a que 11 ans et je ne veux pas lui mettre la pression – j’aimerais qu’elle trouve quelque chose en bon état… »
 
Le vignoble
Son exploitation est tournée vers l’avenir, parce que pour lui, rien n’est pire que de se contenter de l’acquis. « Mon père a commencé par cultiver la vigne comme il cultivait ses champs. Il a vite compris qu’il fallait changer de méthodes. » Donc, il faut évoluer sans cesse : nouveaux matériels, nouvelles voies viticoles, nouveaux créneaux commerciaux… Et une réflexion permanente à plusieurs niveaux (culture, œnologie, etc…). Jean-Pierre Vazart est un adepte de la formation continue sous toutes ses formes et le plus souvent possible. « On essaie et, si ça ne marche pas, on recommence. » Le tout en liaison étroite avec les autres (toujours), « parce qu’on ne fait rien tout seul ».
« Depuis le début des années 90, on s’occupe plus et mieux de l’environnement. Le tout phytosanitaire, le tout herbicide, c’est bien sûr efficace. Mais on a compris a posteriori que l’arrêt du travail du sol était une erreur. Sur les choix culturaux, dont l’enherbement fait partie, par exemple, on est rôdé : on taille en chablis, on sait choisir les clones, placer les porte-greffes… La révolution est ailleurs : on est aujourd’hui à la veille d’un énorme bouleversement technique, avec l’arrêt des herbicides. Il va falloir tout « réapprendre » très vite. Certes, on ne va pas pouvoir labourer ou travailler la terre partout, mais il va falloir en passer par là pour l’essentiel. »
Démonstration par l’exemple : « C’est toute l’histoire du typhlodrome, acarien prédateur de ces autres acariens ennemis de la vigne que sont les araignées jaunes et les araignées rouges. Pour lutter contre elles, les acaricides se sont révélés excellents. Dans un premier temps. Puis les araignées ont résisté. Tandis que le typhlorome, lui, n’a pas résisté et a presque complètement disparu, laissant les araignées sans prédateur naturel. Problème. Le vignoble suisse a montré la voie en diminuant les acaricides et en réintroduisant le typhlodrome qui croque les araignées. Il a fallu 10 ans, mais ça fonctionne bien. » La confusion sexuelle, pratiquée sur une grande partie du vignoble champenois, est aussi aux yeux de Jean-Pierre Vazart « une belle évolution » pour se passer des insecticides. Reste l’inquiétant corollaire de l’arrivée de certaines maladies, comme la flavescence dorée présente dans les vignobles du sud de la France, et contre lesquelles il faut bien lutter d’une manière radicale sous peine de mettre en danger tout le vignoble. « La maladie n’a pas encore contaminé la Champagne, mais son vecteur, la cicadelle, est présent chez nous. Si nous devions en être victimes, il faudrait bien sûr prendre des mesures radicales – ce que feraient les préfets – mais ce serait très frustrant par rapport à tout ce que nous mettons actuellement en place sur le plan environnemental. » Il conseille donc vivement de ne jamais acheter un plan de vigne qui ne soit pas estampillé ZPd4, mention spécifique indiquant que le « matériel végétal » est sain.
 
Ses engagements
Président du Groupement de Développement Viticole de la Marne (chambre d’agriculture), vice-président du CDER, membre du réseau MATU, administrateur de l’Ordre du Tablier Blanc, membre du Club Trésors de Champagne, de l’association Les Mains du Terroir de Champagne, adhérent Vigneron Indépendant…
La liste des engagements multiples de Jean-Pierre Vazart (sans garantie d’exhaustivité…) est révélatrice de cette personnalité curieuse de tout. Ce qui n’est pas sans lui causer quelques souci en termes de gestion du temps – notamment en raison de tous les projets que les autres ont pour lui. Avantage collatéral de cette légère suractivité, Jean-Pierre Vazart a du mal à s’ennuyer.
« Le Groupement de Développement Viticole et le réseau MATU sont deux beaux outils. On est dans le domaine technique, qu’il soit manuel ou mécanique. C’est mon ADN et je ne peux pas m’en passer. J’aime le dialogue, l’échange et le partage. On travaille avec des ingénieurs, on intègre des techniques éprouvées, on fait des tests sur de nouvelles techniques, on prépare la viticulture de demain. 
Avec les collègues du réseau MATU, par exemple, on est en train de mettre en place une plateforme de lavage des tracteurs à Chouilly, pour la gestion des effluents. Avec le GDV, on réfléchit sur l’enherbement, le travail du sol, la maîtrise des maladies. Connaître et comprendre une maladie permet de mieux la combattre. On va jusqu’à penser l’ergonomie des tracteurs, du confort jusqu’à l’informatique embarquée.
J’ai rejoint le Club Trésors de Champagne en 1995, quand on a commencé à envisager l’export. Le groupe a une vision très qualitative en la matière, et c’est très intéressant. C’est un groupe plein d’énergie, comme le prouve la création de la Boutique du Club Trésors, à Reims, près du Boulingrin.
L’Ordre des Tabliers Blancs a été fondé par mon père. Il accueille tout Champenois soucieux de mettre en avant la qualité de son travail et de valoriser son champagne. Un tablier blanc est le symbole de la propreté et du travail bien fait, donc du bon produit.
Avec Les Mains du Terroir de Champagne, nous sommes une quinzaine de vignerons qui présentons nos champagnes aux importateurs, journalistes spécialisés, professionnels du vin…
Etre Vigneron Indépendant, c’est pour moi un choix qui s’imposait. Notre fierté, c’est bien de dire que nous faisons tout de A à Z, ce que ne permet pas la seule étiquette sur la bouteille. Mais la charte de l’association est très claire à ce sujet. Au sein de l’association j’ai rencontré le groupe Qualenvi (comme qualité/environnement/vigneron indépendant), qui porte la démarche qualité/environnement. Avec un petit noyau champenois, nous avons travaillé sur la traçabilité pour bâtir une sorte de norme Iso interne. Cela signifie que nous voulons être capables de dire ‘je sais ce qu’il y a dans cette bouteille que j’ai produite, et je le prouve, parce que je suis au centre de mon entreprise, mais que mon entreprise doit pouvoir fonctionner sans moi’. Nous avons abouti à une traçabilité effective, efficace, certifiée, et comme nous avions bien travaillé, nous avons embrayé sur la certification Haute Valeur Environnementale. Vazart Coquart a donc été certifié HVE en 2012. Après Eric Rodez et Bollinger – et en même temps que Michel Loriot – nous avons été la troisième exploitation agri/viti certifiée en France. Cela a mis fin à la frustration de ne pas pouvoir prouver à nos clients qu’on fait des efforts permanents en matière d’environnement. Parce qu’il n’y a pas que le bio qui détienne la vérité en ce domaine. Je ne suis pas certain qu’une Champagne 100 % bio soit réalisable. Mais la Haute Valeur Environnementale est une des voies pour avancer. Et il faut toujours avancer. Aujourd’hui la viticulture durable est une réalité en champagne. C’est bien.
 
La politique
Quand il n’est pas dans ses vignes ou auprès de l’une des structures dont il est membre, on trouve Jean-Pierre Vazart à la mairie de Chouilly, où il est premier adjoint. On le dit pourtant plus « technicien » que « politique ».
« Je n’aime pas la politique pour ce qu’elle implique. J’en fais au niveau communal et ce n’est pas tout à fait ‘de la politique’. A Chouilly, je travaille avec des gens dont j’ignore tout du bulletin de vote. Dès qu’on passe à l’échelon supérieur – l’intercommunalité -, ça commence à me donner des boutons. Et ça m’enlève toute envie de devenir maire. Au plan local, on est efficace. Au-delà, cela devient plus difficile et il faut faire… de la politique ! Mais je considère qu’on ne peut pas protéger efficacement son activité si on n’est pas impliqué dans la vie locale. A Chouilly, il y a 1 000 habitants, 530 hectares de vignes et 1 000 hectares de terres agricoles. C’est la « culture » du village. Il n’est pas question de voir imposer des choses par des gens qui n’y connaissent rien… »
 
Verbatim
« Il écoute les autres et il est toujours prêt à rendre service. » « C’est quelqu’un de bon conseil. » « Il est rigoureux, il fait les choses à fond. » « Il n’aime pas laisser place au hasard – voir sa passion pour l’informatique. » « Les gens aiment travailler avec lui. » « Jean-Pierre Vazart ? Il est intègre et bon. »
Sûr que sa modestie (qui accompagne sa timidité) va en souffrir…
 


Les oies pour totem
Sur les étiquettes du champagne Vazart Coquart (en bas à gauche), sur les coiffes, sur les capsules, trois oies symbolisent trois générations de Vazart.
« Les habitants de Chouilly sont surnommés les ‘bilots’. Un ‘bilot’, c’est un jars en patois champenois. Il y avait, autrefois, beaucoup d’oies à Chouilly. Mon père les a choisies comme animal totem lorsqu’il a créé la cuvée spécial foie gras. C’est idéal pour démarrer une conversation avec des clients ! Et puis, c’est quand même une vraie histoire… »

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