L’année 2015 s’est terminée avec la publication du décret relatif au régime d’autorisation de plantations de la vigne. Ce texte n’a pas manqué d’être commenté dans les médias, et certains titres et articles lus dans la presse en tout début d’année 2016 méritent une clarification de la signification du nouveau dispositif. Pour rappel, le décret adopté en France, après une longue période de négociations n’est que la transposition en droit français d’une directive européenne publiée en 2008.
« En 2016, on pourra faire du vin n’importe où en France », « Bruxelles donne du mou au vin », « La surface viticole va croître ! »… A-t-on pu lire ici et là. Heureusement, pour rectifier le tir, il y a eu aussi « Non, on ne produira pas de champagne dans le Bordelais » ou encore « La libéralisation des droits de plantation ne va pas bouleverser le vignoble ». Quoique dans le dernier cas, parler de libéralisation n’est pas correct.
La principale différence entre l’ancien système des droits de plantation et le nouveau régime d’autorisations est presque philosophique. Il s’agit d’autoriser la plantation par défaut, plutôt que l’interdire. Bien sûr, le volume de plantations nouvelles sera encadré : en France, l’augmentation maximale possible est de 1 % de la superficie du vignoble actuel. En France, où l’on dénombre 800 000 hectares de vignes, on pourra procéder à la plantation de 8 000 hectares nouveaux en 2016. Et chaque appellation d’origine contrôlée peut déterminer sa propre orientation. En Champagne, nous avons raisonnablement choisi de ne pas planter en 2016.
8 000 hectares, en un an, à l’échelle du pays, paraissent peu. Mais chaque année, un pour cent de la nouvelle surface augmentée sera plantée. Vous imaginez la superficie totale d’ici 20, 30, 50 ans ? Planter plus signifiera forcément produire plus, et nous connaissons pertinemment les conséquences pour la filière viti-vinicole. Les politiques de quantité au détriment de la qualité répondent à un modèle économique qui ne fonctionne pas pour les vins. En Languedoc-Roussillon et dans le Bordelais en France, en Amérique du Sud ou en Australie, chez les producteurs de cava, pour comparer avec un autre territoire de vins effervescents, l’aventure a été tentée. Nous savons où cela a conduit. Et tous ces territoires sont depuis revenus en arrière.
Les consommateurs ne boivent plus de vin de soif… Les politiques de lutte contre l’alcoolisme et surtout l’évolution de nos sociétés ont largement fait chuter la consommation d’alcool en général, de vin en particulier. Les consommateurs recherchent nos produits pour la gastronomie, et pour le champagne en particulier, pour la célébration, l’évènement, la fête.
La seule réponse possible à ce défi, et la Champagne l’a compris depuis longtemps, c’est la recherche constante de la plus haute qualité possible. Cela passe nécessairement par la défense et la promotion des appellations d’origine contrôlée, la meilleure garantie de la qualité.
C’est le rôle que remplit quotidiennement votre Syndicat général des vignerons de la Champagne, en tant qu’organisme de défense et de gestion (ODG), mais aussi dans toutes ses missions de conseil et d’assistance auprès des viticulteurs. Et également comme lobby puissant auprès des administrations et des pouvoirs publics, qu’ils soient à Paris ou à Bruxelles.
Je me permets de rappeler que le projet initial de la Commission européenne à propos des droits de plantation consistait en une libéralisation totale, une dérégulation qui aurait supprimé toutes les règles que nous avons mis sur pied au fil des années alors qu’elles ont tellement démontré leur efficacité, en Champagne en particulier. Si la Commission a reculé pour adopter un nouveau système d’autorisations de plantation, c’est bien parce que le SGV a œuvré, certes pas seul, mais comme l’ont rappelé ces dernières années nombre d’institutions, comme chef d’orchestre des organisations professionnelles viticoles en Europe.
Avec 2016, entre donc en vigueur un nouveau dispositif qui limite la libéralisation. Il faut rester vigilant. Entre dogme idéologique déconnecté des réalités pour certains et recherche de profit à court terme par le volume, la régulation des plantations de vignes ne manquera pas d’être à nouveau attaquée à l’avenir. La vertu de l’exemple démontré du champagne est sans doute le meilleur argument pour préserver une organisation et des outils de régulation.
Pascal Férat