Votre champagne présente des saveurs de chou-fleur, de caoutchouc vulcanisé ou de laine mouillée ? Il y a de fortes chances qu’il ait été exposé trop longtemps à la lumière. C’est le goût de réduction que l’on rencontre le plus fréquemment car il est lié aux conditions de conservation du vin dans les lieux de production mais surtout de distribution. Très tenace et particulièrement désagréable, il a pour origine une vitamine présente dans le vin qui, exposée à certaines longueurs d’onde dans les UVA et également le spectre visible, perturbe la structure chimique de certains acides aminés sulfurés. Des solutions existent pour préserver le champagne de ce dommage préjudiciable à sa réputation et qui peut ruiner en quelques minutes des mois de travail du vigneron.
“Le soleil dont les rayons méritent au-dehors notre hommage et nos actions de grâces, le soleil qui fait naître et mûrir tous les dons de la nature, est mortel pour la cave”, constatait déjà au début du XIXe siècle le journalise Horace-Napoléon Raisson dans son “Nouvel almanach des gourmands” publié sous le pseudonyme d’A.B. du Périgord.
D’une manière empirique, l’homme avait identifié l’exposition à la lumière comme l’origine de ce goût de réduction que l’on peut retrouver dans les vins blancs ou rosés et encore plus dans les champagnes.
C’est un siècle et demi plus tard avec les travaux d’Alain Maujean qui a créé en 1980 le ‘Laboratoire d’œnologie et de chimie appliquée’ à l’Université de Reims que le phénomène s’est scientifiquement révélé. Avec son équipe, l’universitaire a déterminé les potentiels d’oxydoréduction de nombreux vins de Champagne avant et après la prise de mousse et précisé le lien de cause à effet entre l’éclairement à certaines longueurs d’onde de vins dégorgés ou non et l’apparition de ce qui a été baptisé “goût de lumière”.
Le bras armé de la lumière pour corrompre le vin a alors été clairement dénoncé : la riboflavine (vitamine B2), une molécule photosensible qui lorsqu‘elle reçoit un rayonnement ultraviolet mais aussi dans le spectre visible se débarrasse de son trop-plein d’énergie en oxydant des acides aminés comme la méthionine qui libère alors des arômes sulfurés nauséabonds. L’exposition à la lumière qui peut également altérer d’autres produits alimentaires, comme la bière, le lait ou l’huile, est plus nocive pour les vins blancs ou rosés que pour les rouges dont les phénols font office d’écran. Et le champagne qui par sa double fermentation développe une grande richesse en acides aminés et en riboflavine est le plus touché de tous les vins. “Ce défaut est très sournois car il masque le caractère fruité avant de se révéler complètement en corrompant définitivement le champagne”, explique Michel Valade du Pôle technique et environnement au Comité Champagne.
Le rayonnement UVA et d’une certaine partie du spectre visible dans le bleu peut avoir des effets extrêmement rapides sur le champagne, proportionnellement au temps d’exposition et à son intensité. Par ailleurs la chaleur décuple le phénomène. “Cinq minutes à la lumière du jour et parfois moins de trois minutes en plein soleil suffisent à l’apparition du goût de lumière, note Michel Valade. Pour une bouteille blanche il faut entre trois et six heures d’exposition au jour ou au néon (lumière froide) pour dénaturer le champagne. Et le phénomène est cumulatif, les dommages sont irréversibles et des expositions intermittentes ne font qu’accentuer le problème. Le goût n’est pas seul en jeu, la couleur aussi est affectée par la lumière et le vin trop exposé aura tendance à se décolorer.”
Des lois physiques implacables
Selon lui, tous les champagnes sont concernés. Une étude portant sur six différents types de vin, avec des bouteilles témoins conservées dans le noir, a révélé une contamination quasi égale après quinze jours d’exposition continue et forte sous des tubes fluorescents. L’opacité de la bouteille en faisant barrière aux rayonnements offre bien entendu une protection efficace, mais cette protection n’est pas infinie sauf à tirer le vin dans un flacon totalement noir. Une bouteille verte exposée à une forte intensité d’UVA peut développer des réactions chimiques nuisibles après deux mois de stockage sous des néons puissants, les mêmes dommages étant visibles après trois mois pour une bouteille brune.
“Les industries verrières travaillent à ce problème, mais les lois physiques sont implacables et un verre blanc ne peut être totalement filtrant sauf à ne plus être blanc. Et tout est question de compromis entre l’exigence de qualité et le marketing avec la mode des bouteilles blanches”, estime l’expert du Comité Champagne. Il rappelle également que “la protection contre les UV n’est pas suffisante puisqu’une partie de la lumière naturelle peut avoir des effets néfastes. Il serait bon que le consommateur en soit informé et ne se laisse plus berner par des publicités d’armoires à vins anti-uv qui souvent d’ailleurs sont éclairées à l’intérieur par des éclairages à LED bleu aussi nocifs.”
Si le phénomène de goût de lumière est bien identifié depuis les années 80, sa problématique est réapparue assez récemment avec l’annonce de l’arrêt programmé de la fabrication des lampes au sodium qui sont depuis longtemps utilisées en cave, et l’émergence des technologies LED, notamment des diodes au phosphore, qui donnent une lumière ambrée dans une longueur d’onde non préjudiciable aux vins.
“En cave la solution est déjà trouvée. Le sodium utilisé jusqu’à présent pour son innocuité est peu confortable et consomme beaucoup à l’allumage. Il sera remplacé par les LED ambres sur les lieux de stockage. Pour les voies de passage, les chantiers ou les lieux de consommation, il faut trouver le bon compromis entre le confort des opérateurs, la durée d’exposition et la présentation du produit. Le cahier des charges est évidemment plus lourd.”
Par ailleurs, des solutions sont à l’étude pour lutter contre le goût de lumière comme les films protecteurs ou les papiers filtrants. Du côté de la chimie, certains additifs comme l’acide ascorbique (vitamine C) ont été testés mais sans résultat probant. D’autant qu’il faudrait que ces additifs soient biosourcés et qu’il n’altèrent ni la couleur ni les propriétés organoleptiques du vin.
Le “vinem”, une nouvelle unité de mesure
La seule possibilité pour ne pas affecter le vin demeure dans le bon choix du luminaire en cave et la protection intégrale par un étui en carton par exemple sur les lieux de commercialisation ou de dégustation.
Il faut surtout raisonner en quantité de lumière émise, reçue et absorbée par le vin. La notion de spectre est utile mais insuffisante. Le Comité Champagne mène un travail avec la société Piseo afin de définir un cahier des charges avec des tests normalisés qui vont caractériser un luminaire mais aussi le pouvoir filtrant d’un verre ou d’un film protecteur. “Nous réfléchissons à une nouvelle unité de mesure que l’on pourrait appeler le ‘vinem’ et qui définirait la quantité de lumière acceptable sur l’ensemble du spectre sans apporter de désordre au vin”, indique Michel Valade.
Même s’il est difficilement quantifiable, le goût de lumière, qui pourrait affecter un grand nombre de bouteilles surtout dans les lieux de distribution comme les gondoles de supermarchés où les flacons sont exposés au rayonnement, est une menace pour la réputation d’excellence du champagne. Dans les magasins spécialisés ou les lieux de dégustation qui n’échappent pas à la mode d’un fort niveau d’éclairement important à l’aide de LED classiques qui génèrent des pics dans le bleu, toutes les bouteilles exposées à la lumière subiront tôt ou tard le goût de lumière. La logique voudrait alors qu’une seule bouteille soit exposée et que le consommateur n’achète que des bouteilles protégées par un carton d’emballage.
Un long travail de communication qui reste encore à élaborer.