Toujours souriante et ultradynamique, Bénédicte Bérard-Meuret figure parmi ces vigneronnes dont le parcours atypique impose le respect. Avec en prime, l’humilité qui sied aux plus grands. Auboise d’origine et petite dernière d’une sororie de quatre filles, elle s’est d’abord orientée vers un bac professionnel dans l’électronique avant de rejoindre les Beaux-Arts de Troyes pour se former au métier d’architecte d’intérieur. « Je suis très bricoleuse, glisse-t-elle. J’aime le côté manuel et technique, le fait de retaper d’anciennes maisons. J’ai décidé de reprendre l’exploitation familiale, à Ambonnay, avant la fin de mes études. Mes sœurs ne souhaitaient pas se lancer. Lorsque nous étions enfants, les grands-parents nous répétaient souvent qu’ils aimeraient qu’on prenne la suite. Moi, j’étais plutôt une fille de la ville ! ».
Un héritage sentimental
L’idée a cheminé et les précieux souvenirs de cet héritage sentimental ont fait leur œuvre. « Les vendanges dans la boue et le froid, les bons repas de notre grand-mère Germaine lorsqu’on rentrait des vignes, illustre la vigneronne. Le jus de raisin fraîchement pressé qu’on nous faisait goûter, les caves, le tournage des bouteilles à la main, etc. »
« Je savais la dureté du travail »
En 1992, Bénédicte Bérard-Meuret se forme à Avize pour obtenir son brevet professionnel puis le concours de taille. Mention « bien », s’il vous plaît ! « Mon oncle, André Petit, avait déjà 72 ans et cherchait à transmettre. Il m’avait beaucoup appris et je savais la dureté du métier. Mon grand-père, Théophile Petit (à qui la maison de champagne doit son nom, NDLR) est décédé en 1948 d’épuisement. Son père, Alexandre, est lui aussi parti bien trop tôt, juste avant la naissance de Théophile. J’ai officiellement repris les vignes en 1995. J’avais 24 ans. » Trois décennies plus tard, elle est à la tête de 6,3 hectares, dont 4 en propre. L’exploitation compte deux salariés avec son mari Cédric, qui l’a rejointe en 2000. Et si c’était à refaire ? « Travailler en couple est une sacrée aventure, mais nous sommes toujours très amoureux, plaisante la viticultrice. Je le referais, sans doute avec les mêmes galères, car il y en a eu. Je pense qu’il faut apprendre de ses erreurs. »
S’imposer en tant que jeune viticultrice
Il lui a également fallu une bonne dose de persévérance pour s’imposer en tant que viticultrice, qui plus est jeune viticultrice, dans un milieu masculin où, à l’époque, les femmes n’étaient clairement pas considérées à leur juste valeur. « Il y a eu beaucoup de jalousies à mon arrivée, se rappelle-t-elle. Certains pensaient que je n’avais pas ma place à Ambonnay. Je n’étais pas née ici, je n’étais pas “la fille de”. On me surnommait parfois “la cousine” ! Je ne voulais pas de confrontation, je me suis mise à l’écart. Ça a tout de même duré une dizaine d’années. » Puis les choses ont évolué, lentement. « J’ai rejoint le groupe des jeunes à l’Union Champagne. D’autres viticultrices se sont installées, la coopérative en a accueilli de plus en plus, alors que c’était impensable quinze ans plus tôt. Ça a sans doute ouvert les esprits des vignerons. Preuve qu’avec de la patience et de la maturité… Je garde le côté positif de tout cela. »
Passionnée d’arts martiaux
Cette philosophie, Bénédicte Bérard-Meuret l’a acquise et nourrie grâce, entre autres, à sa passion pour les arts martiaux. Elle a longtemps pratiqué le Qwan Ki Do, basé sur les énergies corporelles, ainsi que le karaté Wadō-ryū. « Des disciplines très précises et exigeantes, un peu comme moi. Ça me permet de me défouler physiquement, tout en me ressourçant et en gagnant en plénitude. Plus tard, peut-être, j’aimerais donner des cours de Qi Gong ou de Tai-Chi. » Adepte de la course à pied, qu’elle partage avec son cher et tendre, la vigneronne aime aussi voyager. Dernière escapade en date : la Laponie.
Solidarité et humanisme
De ses ancêtres, elle garde et continue à cultiver les valeurs d’entraide, de solidarité et d’humanisme. Avec une part belle faite au collectif. Et pour cause, en mémoire de son père Théophile et avec plusieurs amis vignerons, André Petit a fondé au début des années 60 la première coopérative d’Ambonnay. Baptisée Saint-Réol en clin d’œil à l’église du village, elle fédère aujourd’hui plus de 230 adhérents. Les instigateurs ont ensuite créé une coopérative d’utilisation de matériel agricole (Cuma) : l’Union des propriétaires d’Ambonnay (UPA).
« L’avenir de la Champagne s’écrit dès à présent pour les jeunes »
Bénédicte Bérard-Meuret s’y est évidemment investie, en tant que trésorière puis membre du bureau. « C’est un véritable outil pour la profession, souligne-t-elle. Ça nous permet de faire évoluer nos pratiques et d’avancer ensemble, notamment sur les certifications HVE et VDC, la confusion sexuelle, le travail du sol et l’enherbement, l’apport de traitements naturels, etc. Le réchauffement climatique est un vrai enjeu, d’où l’importance de cette réflexion globale. On se pose énormément de questions. L’avenir de la Champagne s’écrit dès à présent pour les jeunes. À nous de préparer le terrain et de les accompagner, sinon vers le bio, vers les méthodes les plus respectueuses possibles de l’environnement. »
La relève en bonne voie
Maman d’une fille de 28 ans et de deux jumeaux de 20 ans, la viticultrice ne connaît pas encore les joies d’être grand-mère. « Je garde régulièrement la chienne de ma fille, une petite Cocker adorable de sept mois », sourit-elle. Quant à la suite du Champagne Th. Petit, elle laisse le temps au temps. « Je viens d’avoir 54 ans et j’ai bien annoncé que je prendrai ma retraite à 65 ans. Ce n’est pas pour tout de suite ! André est parti en 2002. Il était un peu comme un deuxième papa pour ma fille. Elle a déjà une expérience professionnelle dans le domaine viticole et spiritueux. Elle vit en Belgique pour l’instant, mais elle pense à reprendre l’exploitation. C’est quelque chose qui lui tient à cœur. »
Une cuvée parcellaire en hommage à André Petit
La maison exporte environ 8 % de sa production, aussi bien en Italie qu’au Québec, en Angleterre ou au Japon. Plusieurs de ses cuvées ont été distinguées et notamment médaillées d’or au Concours mondial des Féminalise. Leur particularité ? « Elles sont complexes, puissantes et reflètent la typicité du terroir d’Ambonnay, ses raisins fruités et parfumés, avec de la finesse. » Bénédicte Bérard-Meuret a dévoilé, en 2018, une cuvée parcellaire en tant que récoltante-manipulante. Élaborée au sein de la coopérative, elle s’équilibre à 25 % de Chardonnays et 75 % de Pinots Noirs issus de la parcelle « Les Champs Seaux ». « Ce sont nos plus vieilles vignes, plantées vers 1965. J’ai dessiné mon oncle sur l’étiquette en son hommage. Il aurait eu 100 ans en 2018. J’ai utilisé le moût concentré rectifié pour ce vin, de sorte à ne garder que le raisin, sans sucre de betterave. » Résultat : une bulle très légère et des notes caramélisées, « presque torréfiées, à l’image des vieux vins, comme je les aime. »
À l’image également de sa créatrice, une femme authentique et de caractère.