En ce jour de la Saint-Vincent de l’année 1963, l’Américain Albert Ricciuti épousait la Française Paulette Révolte à Avenay-Val-d’Or. Aujourd’hui, leur fils John-Charles perpétue en famille cette histoire forte, étonnante, qui lie l’Amérique et la Champagne. Nées en premiers et grands crus, leurs bulles ont aussi les atouts pour séduire outre-Atlantique. Le mois de l’élection présidentielle US, la Champagne Viticole vous propose de rencontrer un vigneron de Champagne franco-américain.
Ne cherchez pas, il est le seul récoltant-manipulant franco-américain en Champagne et son double prénom n’est pas le fruit du hasard : John choisi par son papa Albert en hommage au président Kennedy, assassiné le 22 novembre de la même année à Dallas et Charles ajouté par sa maman Paulette, pour ne pas oublier le général de Gaulle. L’enfant est est né le jour de Noël 1963, onze mois mois après le mariage de ses parents.
“Mon père était de mère française, de père italien, émigré aux Etats-Unis”, raconte John-Charles, “Il a débarqué en 1944 à Utah Beach”. Le nom de code donné par les alliés à la plage de la Madeleine, à Sainte-Marie-du-Mont. En juin 1944 donc, après vingt et un jours de traversée, Albert Ricciuti foule pour la première fois la terre de France, avec la 3e division d’infanterie (XXe corps du général Patton). Un événement qui résonne dans l’histoire de cette famille, puisque le grand-père de John, Raffaele, avait lui-même combattu lors de la Grande Guerre et débarqué sous la bannière américaine en 1917. Et, de retour de France, il avait emmené avec lui une jeune fille originaire d’Arles, Marie-Louise Pillier, qui deviendra la mère d’Albert Ricciuti. Depuis longtemps, la destinée familiale est franco-américaine…
Naissance du champagne Ricciuti-Révolte
Après le débarquement de juin 44, Albert Ricciuti, interprète pour son régiment d’infanterie sous les ordres de Patton, est membre des troupes qui libèrent le village d’Avenay-Val-d’Or et installent leur bivouac au “Champ du notaire”. Il rencontre Paulette Révolte, ses parents et sa famille, membres de la Résistance depuis longtemps (personne n’oublie la mort du frère de la maman de John-Charles, tué par la Gestapo à Damery). “Puis mon père a continué son chemin, retournant aux Etats-Unis, entretenant une correspondance irrégulière avec maman, pendant 18 ans, continue-t-il. Ils se reverront en 1958, lorsque ma mère effectua un voyage sur le paquebot transatlantique Queen Mary, pour rencontrer tous les gens que la famille avait vus, aidés, hébergés pendant la guerre, notamment des aviateurs.”
Paulette et Albert se revoient et se disent “oui” cinq ans plus tard, en Champagne, le 22 janvier 1963. Les voilà mariés, un jour par comme les autres, celui de la Saint-Vincent. Le Champagne Ricciuti-Révolte est né. Albert devient le premier récoltant-manipulant américain en Champagne. “Une figure du village, disparue hélas en 2002”, raconte John-Charles très ému, “Mon papa se faisait régulièrement appeler “l’amerloque”. Il y avait bien quelques jalousies, mais la carte du libérateur était son plus bel étendard. Et puis son accent nous permettait de sourire tous les jours.” Au fil des ans, Albert “observe, travaille, apprend puis maîtrise”. Le verdict des bulles confirme son talent.
John-Charles, Nathalie et aujourd’hui Ugo
“Ensuite j’ai rencontré Nathalie. Le garçon de la côte des noirs avec une fille de la côte des blancs (Chouilly), l’assemblage parfait !” Nathalie est la fille de Nadine et Johnny Legras, un véritable personnage également ! “Mon beau-père, c’est du Audiard dans le texte, un homme atypique et franc dans le monde du Champagne”, précise John. “Qu’importe le rang de la personne en face, s’il doit dire quelque chose il n’hésite pas”, confirme sa fille Nathalie.
Si “By JCR” reste le seul champagne à l’histoire franco-américaine, “On a rien de Jay Z…” précise le vigneron avec humour, “nous travaillons en famille. Ma grand-mère maternelle, Joséphine Révolte, tenait avec ses enfants un commerce de fromages pendant la guerre. Ils ravitaillaient les villages alentours. Les vignes ont été achetées en 1950 puis les frères et sœurs sont repartis avec une partie de l’exploitation, pour s‘installer”. Aujourd’hui Ugo, 21 ans, l’un des deux enfants (avec Clélia) de John-Charles et Nathalie, a rejoint l’équipe familiale après son BTS viticulture-oenologie à Avize Viti Campus. “Avec notre fils près de nous, l’après succède bien à l’avant, c’est formidable et cela reste une belle motivation”, savourent ls parents.
Naissance d’un millésime
Le lien avec l’Amérique du Nord reste fort. “On essaie de retourner tous les ans aux Etats-Unis, nous avons des ancrages familiaux dans le Maryland et la Virginie”, confirme John-Charles, qui travaille avec sa famille pour que les bulles de Champagne By JCR, déjà distribuées en France et en Europe trouvent également leur place outre-Atlantique, comme ce millésime 2011, tout nouveau dans la gamme. “Nous avons en effet décidé d’élaborer ce millésime à partir de quelques vieilles vignes plantées entre 1957 et 1967 à Chouilly. Une petite production (800 bouteilles) que l’on proposera chaque année, pour avoir un échantillonnage de l‘évolution dans nos chardonnays.” 2011 n’est certes pas présenté comme une année exceptionnelle, “mais je trouve que les chardonnays s’en sortent plutôt bien”. L’œnologue-vigneron Louis Brochet, qui a conseillé le domaine jusqu’à la vendange 2011, avant de rejoindre l’exploitation familiale à Ecueil, confirme : “On a pu faire un millésime cette année-là en raison d‘une sélection pointue et de qualité.” Louis est aujourd’hui remplacé par Laurie Marteau, œnologue-conseil également, qui apportera elle-aussi ses compétences.
Au domaine, l’élaboration s’effectue exclusivement en cuve inox. “Pas de fût car je ne suis pas un grand fan du bois en Champagne, explique John, beaucoup le font déjà très bien. Nous envisageons d’autres contenants, comme la terre cuite par exemple. Pour apporter quelque chose de différent. Et j’attends les idées de la nouvelle génération !”