Le président de la République avait promis « une grande loi foncière » au début de son mandat en 2017. Entre espoirs et désillusions, il aura fallu attendre quatre ans pour voir poindre une évolution dans le paysage foncier. Celle-ci repose sur la proposition de loi du député des Hautes-Pyrénées, Jean-Bernard Sempastous, et porte sur les mesures d’urgence pour assurer la régulation de l’accès au foncier agricole au travers des structures sociétaires.
Les politiques publiques agricoles favorisent des exploitations à taille humaine. Dans les années 1960, deux outils ont été créés afin de réguler l’accès au foncier agricole :
- le contrôle des structures, qui réglemente la mise en valeur des terres agricoles ;
- la Société d’aménagement foncier et établissement rural (Safer) qui exerce un contrôle sur les mutations de propriété à titre onéreux.
Ces deux outils visent à réguler l’accès au foncier agricole pour atteindre les objectifs suivants :
- protéger et valoriser les terres agricoles :
- contribuer au renouvellement des générations ;
- favoriser la transmission des exploitations agricoles dans un cadre familial et hors cadre familial ;
- promouvoir la diversité des systèmes de production sur les territoires ;
- limiter les agrandissements et concentrations d’exploitations ;
- faciliter l’accès au foncier agricole dans des conditions transparentes et équitables ;
- promouvoir l’indépendance alimentaire de la France à l’international, en préservant son modèle agricole ainsi que la qualité et la sécurité de son alimentation.
Pour autant, l’évolution des modes de culture, la démographie ou encore les avancées technologiques ont généré des mutations profondes quant aux modèles d’exploitation. La montée en puissance de la forme sociétaire depuis une quinzaine d’années en est un exemple parlant.
Ce phénomène, malgré les avantages qu’il présente pour chaque structure individuellement, a malgré tout conduit à créer des dérives mettant à mal les outils de régulations de l’accès au foncier. En effet, le phénomène sociétaire, et en particulier les cessions de parts sociales, induisent la possibilité de contourner les outils de contrôle de la Safer pour le cas où ce ne serait pas la totalité des parts qui feraient l’objet de la cession. Forts de cette brèche, certains en ont profité pour céder jusqu’à 99 % des parts sociales, évitant en toute légalité, le droit de regard de la Safer.
À l’occasion de deux rencontres avec le député des Hautes-Pyrénées, Maxime Toubart, le président du Syndicat Général des Vignerons de la Champagne, a soutenu la proposition de loi visant à assurer une meilleure régulation de l’accès au foncier agricole au travers des structures sociétaires. Maxime Toubart n’a pas manqué de rappeler que l’enjeu, pour le vignoble champenois demeure de préserver les équilibres interprofessionnels et de maintenir la détention du foncier par les vignerons. L’AOC Champagne se caractérise en effet par un nombre élevé d’exploitations familiales. Compte tenu de ces réalités, le SGV a dénoncé, devant Jean-Bernard Sempastous, une réglementation « passoire » qui est régulièrement contournée par des montages juridiques reposant sur les démembrements de propriétés et sur les structures sociétaires ; et, dans le même temps, des règles compliquées multipliant à l’excès les obligations administratives incompréhensibles.
Le député s’est montré attentif aux remarques formulées par le vignoble. Et la proposition de loi qu’il a émise a le mérite de mettre l’un de ces sujets sur la table et de tenter d’y remédier : le contrôle des cessions de parts sociales. Après examen par l’Assemblée nationale le 26 mai 2021, puis par le Sénat le 3 novembre 2021, aucun accord n’avait pu être trouvé. C’est finalement en Commission mixte paritaire (CMP), réunie le 1er décembre 2021, qu’un terrain d’entente a émergé.
Concrètement, que va mettre en place cette loi ?
Cette loi va plus loin dans la transparence des opérations de cession de parts sociales ou d’actions. Désormais, ces cessions ainsi que toute opération emportant modification de la répartition du capital social ou des droits de vote aboutissant à transférer le contrôle d’une société, devront faire l’objet d’une Déclaration d’intention d’aliéner (DIA) auprès de la Safer. Cette démarche doit être effectuée par télédéclaration sur le site internet de la Safer.
Les sociétés visées sont celles détenant en propriété ou en jouissance des biens immobiliers à usage ou à vocation agricole ou détenant des droits sur de telles sociétés (holding).
Sont exclues de ce dispositif :
- les opérations d’acquisition et de rétrocession, par cession ou substitution réalisées par la Safer ;
- les donations ;
- les cessions familiales, entre époux, sous conditions de participation à l’exploitation et de conservation des parts pendant 9 ans (ou de mise à bail dans les mêmes conditions) ;
- les cessions entre associés exploitants (depuis au moins 9 ans sauf cas de décès, maladie, etc.).
Qu’est ce qui détermine le contrôle ?
La loi évoque un seuil d’agrandissement significatif. Dans le cadre des travaux sur le Schéma directeur régional des exploitations agricoles, nous avons évoqué le seuil de déclenchement du contrôle, le seuil de viabilité mais aussi le seuil d’agrandissement excessif. Toutefois, le seuil d’agrandissement significatif n’existait pas jusqu’alors. Ce dernier devra être arrêté par le préfet de région au plus tard le 1er novembre 2022, il sera compris entre 1,5 et 3 fois la surface agricole utile régionale.
Ce seuil d’agrandissement significatif sera apprécié en additionnant les surfaces agricoles exploitées ou possédées directement ou indirectement (avec des équivalences en fonction des régions et des cultures) ainsi que les droits indivis ou démembrés.
Ainsi, dès lors que l’opération visée a pour conséquence de dépasser ce seuil ou que ce seuil est déjà dépassé, l’opération est soumise à autorisation de l’autorité administrative compétente, à savoir le préfet de département.
Et si cette démarche n’est pas réalisée ?
Toute action réalisée en violation de ces dispositions serait considérée comme nulle. L’action en nullité doit être exercée dans les 12 mois à compter de la connaissance de l’opération par l’autorité administrative compétente et elle doit être exercée par cette dernière d’office ou à la demande de la Safer. L’autorité administrative peut également prononcer une amende administrative égale au moins au montant pour les contraventions de cinquième classe (1 500 euros) et au plus à 2 % du montant de la transaction concernée.
Comment se déroule l’instruction de la demande ?
La demande d’autorisation formulée auprès de la Safer est instruite par elle pour le compte du préfet du département auprès duquel la Safer doit motiver sa décision.
Le Comité Champagne (CIVC) pourra présenter des observations écrites auprès du préfet du département et de la Safer. La Commission départementale d’orientation agricole (CDOA) pourra également être en mesure de formuler un avis en cas de saisine par le préfet du département.
Sur la base des observations formulées, le préfet du département peut ensuite :
1. - Attribuer l’autorisation sans conditions ;
2. - Attribuer l’autorisation sous conditions de mesures compensatoires librement consenties par le déclarant. Ces mesures peuvent être proposées par le déclarant lui-même auprès du préfet du département ou bien être réalisées avec le concours de la Safer (dont la rémunération forfaitaire sera fixée par arrêté ministériel). Le préfet de département octroie l’autorisation si les mesures compensatoires sont suffisantes. À défaut, il peut laisser 15 jours au déclarant pour compléter les mesures et rendre une décision d’octroi ou de refus. Si l’autorisation est accordée sous conditions, les mesures compensatoires doivent être mises en œuvre dans un délai de 6 mois (prorogation de 6 mois possible). À défaut, après mise en demeure, l’autorisation pourra être retirée, une sanction pécuniaire prononcée ainsi que la nullité de l’opération ;
3. - Refuser l’autorisation, ou attribuer l’autorisation sous conditions.
Afin d’évaluer l’efficacité et la cohérence du dispositif mis en place, le Gouvernement remettra au Parlement un rapport relatif aux effets de cette loi dans un délai de trois ans à compter de sa promulgation.
La mise en œuvre de cette loi répond à l’une des principales pratiques rencontrées en Champagne visant à contourner les outils de régulation de l’accès au foncier. Toutefois, un second volet méritera d’être approfondi également : il concerne les cessions en démembrement de propriété. L’imagination des uns et des autres demeurant sans limites, ce sont des montages toujours plus ubuesques auxquels la profession et la Safer sont confrontées.