Originaire des Landes et conseiller régional de Nouvelle-Aquitaine, Éric Sargiacomo est déjà très impliqué sur les sujets viticoles : il souhaite d’ailleurs coprésider le futur Intergroupe vin du Parlement européen. Alors que les conclusions du Groupe à Haut-niveau vont dès décembre 2024 poser les jalons de la prochaine PAC 2027, l’eurodéputé jouera un rôle clé dans les négociations pour l’avenir de la filière.
La voix de la France porte moins en Europe, tout comme celle de l’agriculture avec des eurodéputés spécialistes moins nombreux. Que peut-on attendre de la nouvelle mandature sur les questions agricoles et viticoles ?
Si la voix de la France porte moins en Europe, c’est surtout à cause de la situation politique en France depuis la dissolution voulue par le président de la République. Elle est intervenue au plus mauvais moment pour peser sur la composition de la nouvelle Commission européenne. Du côté du Parlement et de la Commission de l’agriculture (Comagri), j’observe plutôt un statu quo en matière de représentation des Français, hormis, il est vrai, du côté du camp présidentiel. Mais il est sûr qu’à côté des Italiens qui semblent avoir fait de la Comagri leur priorité absolue, et ce tous groupes politiques confondus, il y a des leçons à prendre de ce côté-ci des Alpes.
La tentation de libéraliser la filière peut être forte de la part de la Commission européenne, on l’a vu avec la bataille pour maintenir le régime des droits de plantation en 2014 et la réforme des IG en 2022. Quelle est votre position sur le maintien de ce cadre réglementaire et budgétaire propre à la filière dans la prochaine PAC ?
Effectivement, il y a eu 2014, mais on doit aussi parler de la réforme de 2021 où le système des autorisations de plantation a été prorogé jusqu’en 2045. Mon prédécesseur et ami Éric Andrieu m’a beaucoup parlé de la bataille qu’il a dû livrer face à une Commission ancrée dans ses certitudes. Il a pu obtenir d’autres avancées comme la possibilité pour les interprofessions gérant des vins sous IG de faire des recommandations sur le prix du raisin, cet outil est indispensable pour assurer un meilleur partage de la valeur au sein des filières.
À l’avenir, je serai bien sûr de ceux qui défendront l’acquis, mais il faudra également aller chercher les pièces manquantes. Je pense en particulier aux aides à l’arrachage. On a cru pouvoir s’en passer et cet outil a été sorti de la PAC à la fin des années 2000. Résultat, on est obligé de passer par des aides à la diversification pour faire la même chose ou presque. L’arrachage est un crève-cœur pour les viticulteurs, cela reste un outil de régulation incontournable qu’il faut remettre dans la boîte à outils de la PAC.
Le budget étant le nerf de la guerre, nous devons pouvoir disposer de fonds pour nous structurer, nous développer et assurer la transition vers une agriculture plus durable. Quelle est votre vision des Plans stratégiques nationaux dans la prochaine PAC ?
Tout d’abord, je dois dire que le secteur vitivinicole a été clairvoyant en refusant de basculer dans le régime des aides découplées à l’hectare. Il s’est battu pour garder son enveloppe propre qui finance les programmes nationaux d’aides dans chaque État membre, c’était le bon choix. Ce fond doit être préservé à tout prix, la flexibilité qu’il offre est majeure. Pour faire simple, quand le marché se porte bien on utilise l’argent pour investir, quand la surproduction guette on finance de la distillation de crise. Quant au fond de promotion, il est actuellement bloqué dans son fonctionnement. La Commission avait annoncé une révision du règlement Promotion il y a plusieurs années, et on ne voit toujours rien venir. En attendant, ce n’est pas normal que cet outil soit paralysé alors même qu’avec les récentes rétorsions chinoises sur le cognac, nous devons l’utiliser à nouveau. Il me semble également nécessaire que tous les acteurs doivent pouvoir en bénéficier, peu importe leur taille.
Efow et la Cnaoc proposent de renforcer la régulation des plantations alors que le dispositif européen oblige aujourd’hui le vignoble et les AOC à croître. Êtes-vous en phase avec cette demande ?
Appuyer en même temps sur le frein et l’accélérateur, cela n’a pas de sens ! En ce moment, ce sont des milliers d’hectares qu’on arrache, c’est pour le moins surprenant d’avoir à justifier qu’on ne veut pas planter le 1 % supplémentaire annuel. Il faut se rappeler d’où vient cette mesure : c’était à l’époque où la Commission croyait qu’il suffisait d’augmenter progressivement les quotas pour que le marché retrouve son équilibre. C’est une pure vue de l’esprit, les secteurs laitiers et betteraviers en ont été pour leurs frais. Il faut donc garder notre système d’autorisation de plantation tout en disposant d’un peu de souplesse pour permettre le développement de nouveaux vignobles à la marge, notamment dans des zones plus septentrionales.
« Le vin fait partie de notre art de vivre, je dirais même de notre civilisation. »
Éric Sargiacomo, député européen
Le rapport sur l’avenir de l’agriculture pointe un nécessaire accompagnement des filières en renforçant « les outils de gestion des risques, des crises, la promotion d’une agriculture résiliente à l’eau et en mettant au point des approches innovantes en matière de sélection végétale » : a-t-on des chances d’aboutir sur la résilience de nos exploitations ?
Le rapport du professeur Strohschneider est une excellente base pour penser les évolutions à venir de la PAC. On doit concilier les trois dimensions du développement durable, l’environnement, l’économique, sans oublier le social, c’est là la définition qu’en a proposé la Première ministre norvégienne Gro Harlem en 1987.
En matière de gestion de crise, votre secteur a réussi à conserver ses outils de régulation contrairement à la plupart des autres filières agricoles. Il y a quelques trous dans la raquette à boucher, mais l’essentiel est là. Sur les outils de gestion des risques, c’est-à-dire les assurances, on a un problème avec la moyenne olympique et le seuil de déclenchement à 25 % de perte. Cela nous vient aussi des règles de l’OMC qu’il va falloir réussir à réformer un jour. Enfin, les principaux risques pour les viticulteurs c’est le mildiou et l’oïdium pour lesquels l’emploi de produits phytosanitaires comme le cuivre reste indispensable.
Les variétés résistantes comme le Voltis commencent à arriver, mais il va falloir encore du temps pour que l’on soit sûrs d’avoir des cépages avec les qualités gustatives désirées. La sélection assistée par marqueur génétique est une révolution déjà à l’œuvre.
Avec les nouvelles techniques génomiques, on nous promet d’autres avancées, pourquoi pas, je n’y suis pas opposé par principe, mais cela doit se faire dans un cadre contrôlé en assurant la liberté de choix du producteur comme du consommateur avec un étiquetage en conséquence.
La viticulture en France comme en Europe est la cible de plus en plus régulière d’attaques sur le volet santé. Quelles solutions pourrait-on envisager pour prévenir un durcissement de la politique sanitaire qui mettrait notre filière en danger ?
Je ne suis pas du tout convaincu par le « no safe level », les mesures prohibitionnistes ça n’a jamais marché. Le problème ce sont les excès et il faut protéger certaines catégories de la population. Je ne comprends pas pourquoi la Commission européenne ne cherche pas à étendre le logo sur les femmes enceintes par exemple. Le vin fait partie de notre art de vivre, je dirais même de notre civilisation. Dans une société où l’individualisme est devenu la norme, je pense qu’il faut au contraire promouvoir la convivialité et le partage, et le vin en est un des vecteurs. À croire que les vendeurs d’antidépresseurs ont à gagner derrière cette approche prohibitionniste !
Propos recueillis par la Cnaoc