« La Commission européenne n’a pas envie de casser ce qui marche »

Riccardo Ricci Curbastro, le président de la Fédération européenne des vins d’origine (Efow), qui a été consultée par le Groupe à haut niveau, revient pour La Champagne Viticole sur les conclusions des experts et les attentes de la filière.

Temps de lecture : 5 minutes

Auteur : Alain Julien

Quel regard portez-vous sur les conclusions du Groupe à haut niveau ?
Déjà, on ne peut que se réjouir de l’initiative de la Commission européenne de mettre en place ce Groupe à haut niveau et d’inclure les représentants de la filière vitivinicole dans ses réflexions stratégiques. En ce sens, il y a un vrai changement de paradigme. Nous avions connu lors de la précédente législature une approche très verticale ; maintenant il semble que nous soyons dans une démarche plus transversale qui permet des réflexions communes et des débats constructifs.
Par exemple, pour la première fois, la Commission se dit ouverte à un renforcement du système des autorisations des plantations. Il n’y a pas si longtemps, nous devions défendre bec et ongles le concept de régulation, mais maintenant les avis vont plutôt dans notre sens. Face à la crise subie par de nombreux vignobles, il nous faut aussi une boîte à outils flexible pour les différents dossiers comme les arrachages, les vendanges en vert, ou encore les budgets.
Par ailleurs, autre nouveauté surprenante, on entend dire maintenant qu’il faut continuer de réfléchir à la consolidation des marchés, en ce qui concerne la promotion dans les pays tiers.
Seul bémol, l’inclinaison de la Commission vers une promotion des vins sans alcool dans le cadre d’une politique de santé publique. Pour nous, cela remet un peu en question nos discours sur la modération. C’est une proposition assez nébuleuse et nous travaillerons pour éviter cette dérive.
D’une manière générale, pour notre part, les conclusions du Groupe à haut niveau sont plutôt satisfaisantes. On sent que la Commission a identifié les grandes problématiques de la filière et est à l’écoute des professionnels ; reste à savoir bien sûr comme cela se concrétisera.

Quelles étaient les revendications spécifiques d’Efow ? Ont-elles été entendues ?
Pour une fois, nous avons l’impression que nos revendications ont été entendues. Nous demandions de la flexibilité sur l’arrachage, un renforcement du système des autorisations de plantations, avec la possibilité d’une croissance à 0 %, une durée de validité des autorisations de replantation à huit ans, la consolidation des marchés pour la promotion : tout cela, nous l’avons obtenu sur le papier.
Le seul point sur lequel nous n’avons pas été écoutés, c’est le financement du délai plus long de replantation. Parce qu’une parcelle en friche aussi longtemps, c’est bénéfique à la biodiversité, au repos des sols, et à la réflexion des viticulteurs sur le type de replantation, mais cela a un coût économique important. C’est notre regret et nous espérons pouvoir à terme convaincre la Commission de mieux accompagner financièrement les replantations.

La Champagne est attachée à la régulation des plantations, mais est totalement opposée à l’obligation d’autoriser chaque année la plantation de VSIG sur l’aire de l’AOC. Quelles sont les demandes d’EFOW sur ce sujet et pensez-vous qu’elles vont aboutir ?
Le Groupe à Haut Niveau estime que la régulation des plantations constitue un instrument important pour la gestion des volumes. Il semble cependant faire preuve d’ouverture sur une amélioration du dispositif, à travers la possibilité donnée aux États membres de ne pas attribuer d’autorisation de plantations aux niveaux régional et local (IG). Il peut en effet paraître paradoxal d’obliger d’un côté — y compris dans les régions en crise — à accorder un minimum de plantations nouvelles, et de l’autre d’autoriser à arracher ou distiller. Nous sommes plutôt optimistes sur ce sujet. Si la possibilité est bien donnée à une IG de ne pas attribuer d’autorisation de plantations nouvelles, alors le SGV, en sa qualité d’ODG, pourrait décider de ne plus attribuer d’autorisation de plantations nouvelles, y compris pour les VSIG.

« La viticulture ne se résoudra pas seulement avec du droit »

Sur le volet commercial, la Champagne, comme Efow, réclame un guichet unique pour le paiement des accises afin de faciliter les ventes intracommunautaires. Les experts du GHN semblent favorables à ce dispositif, mais a-t-il des chances d’aboutir ?
C’est un dossier qui traîne sur la table depuis des années, mais cette fois-ci, on a l’impression qu’il y a une volonté politique de le faire aboutir. Nous avons appris qu’un consultant avait été missionné par la Direction générale de la fiscalité et de l’union douanière (DG Taxud) pour mettre à jour une étude d’impact sur ce sujet. Les sujets actuellement en discussion s’inscrivent dans la démarche de simplification préconisée par le Groupe pour soutenir et faciliter le commerce des petits opérateurs dans l’espace européen. Cela participe aussi à la diversification des marchés.
Donc, dans ce domaine, il y a quelque chose qui bouge. Est-ce que ça ira dans la bonne direction ? Prédire le futur d’une volonté politique est toujours aléatoire. Comme il s’agit d’une question fiscale, il faut l’unanimité au niveau du Conseil, et c’est surtout avec les États membres qu’il faudra travailler pour obtenir cette avancée.

Ne craignez-vous pas que les intérêts de la filière (régulation, aides tournées vers l’export…) soient sacrifiés dans les négociations au profit des mesures de marché ?
Il faut rester prudent, mais la donne a changé. L’Europe a connu de nombreuses années de prospérité et nous ne nous sommes pas préparés à gérer les crises. Nous avons été démunis face au Covid, nous le sommes tout autant face au changement climatique, la guerre en Ukraine a déstabilisé une partie de l’économie. En fait, la PAC n’a pas été pensée pour répondre aux crises structurelles. Il y a une quinzaine d’années, on pensait qu’il fallait planter à tour de bras pour répondre à une demande des consommateurs sur l’ensemble de la planète, et aujourd’hui on ne sait plus quoi faire avec tout ce vin.
Ce qui est sûr, c’est que la Commission n’a pas envie de casser ce qui marche. Ainsi, il n’y a pas eu de la part du Groupe une remise en question des outils de régulation. Les débats les plus vifs ont porté sur la question de l’arrachage et de son financement, jamais sur les autorisations de plantation. On a l’impression que la Commission est satisfaite de cette boîte à outils et est prête à quelques aménagements pour répondre aux attentes de la filière.
Cependant, la crise de la viticulture ne se résoudra pas seulement avec du droit, il faut aussi se préoccuper des attentes des consommateurs.
Je pense que les conclusions du GHN sont très pertinentes. Mais comment cela se traduira dans les textes et selon quel calendrier ? Là c’est encore flou. La Commission européenne s’est engagée à faire des propositions rapidement : nous les attendons avec impatience, car il y a urgence à agir. Mais au moins, ce travail a le mérite de redonner de la confiance et le marché a besoin de cette confiance pour fonctionner dans la sérénité.

 

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