La discrétion, l’humilité et le goût de l’épure, voici ce qui caractérise sans doute le mieux la famille Josselin, qui vit heureuse dans son fief de Gyé-sur-Seine, mais qui a bien du mal à ne pas se faire remarquer.
L’adage voudrait que pour vivre heureux il faille vivre caché, mais ces vignerons-là ne le peuvent pas tant le talent qu’ils expriment à travers leurs flacons les met régulièrement sur le devant de scène. À leur corps défendant en quelque sorte.
« Nous avons la chance d’être mis en évidence, c’est vrai, mais nous n’abusons pas de la situation. Ce n’est pas le genre de la maison, convient Jean-Félix Josselin. Les prix et les honneurs nous font plaisir, bien sûr, mais il n’est pas question pour nous d’en faire un argument marketing ou commercial. Nous n’en parlons que si nos clients nous emmènent sur ces chemins-là lors de nos échanges. Nous préférons toujours évoquer notre histoire — qui remonte à plusieurs générations -, aborder notre façon de concevoir le vin et le faire déguster pour partager des moments d’émotion et de plaisir avec les personnes accueillies au domaine. Tout ce que nous entreprenons et réalisons a du sens et nous nous attachons à expliquer nos engagements avec cette passion qui anime tant de vignerons. »
Cette attitude à mille lieues du bling-bling, ce discours posé et authentique, c’est peut-être justement ce qui plaît aux consommateurs découvrant le produit, mais aussi les hommes et les femmes qui sont les piliers de l’exploitation sise rue des Vannes.
On y rencontre Jean-Pierre, le fils de Jean Josselin, fondateur de la marque en 1957 et Véronique, son épouse. La fille du garagiste du village, qui a été infirmière libérale au début de sa carrière, s’est piquée au jeu quand son mari lui a demandé de prendre en charge l’administratif et les ventes à ses côtés.
Esprit d’ouverture
« Avec Jean-Pierre, nous étions ensemble sur les bancs de l’école communale. Plus tard, nous nous sommes unis et avons eu deux enfants, lesquels prennent le relais désormais, car l’heure de la retraite arrive pour nous », expose-t-elle.
Les enfants en question, ce sont Lucile, 40 ans, et Jean-Félix, 36 ans, heureux de poursuivre l’aventure en s’appuyant sur les fondamentaux qui ont fait la réussite de la maison. Tout en apportant leur touche personnelle.
La jeune femme, formée à l’infographie et qui a travaillé un temps sur Paris, est revenue à Gyé-sur-Seine pour épauler Véronique auprès de qui elle a beaucoup appris. Elle consacre « plus de 90 % de son temps » aux ventes. Côté loisirs, elle aime « en toute simplicité se ressourcer dans la campagne environnante » avec ses jeunes enfants. Ou bien « écouter du reggae ».
Jean-Félix, le fils de la maison, lui, a suivi des études viti-œno à Beaune avant de décrocher un diplôme d’ingénieur en Suisse (lire encadré) afin de pouvoir emboîter le pas du papa dans les vignes et en caves en apportant un supplément d’expertise technique et scientifique.
Sensible à l’univers artistique – en témoigne le nouvel habillage de la marque – il est à certains égards un disciple du philosophe Gaston Bachelard, cet autre Aubois dont la pensée critique a fait école… On peut être hyper rationnel et faire preuve de curiosité et de pragmatisme aussi face aux éléments et aux êtres qui nous entourent. Et c’est esprit d’ouverture, il le doit en grande partie à son passage chez les Helvètes durant trois années intenses de formation.
« Nous avons trois employés permanents qui nous accompagnent dans différentes tâches sur le domaine. Nous cultivons quatorze parcelles de vignes, réparties sur douze hectares, autour de Gyé. Avec nos équipiers et des saisonniers fidèles, nous produisons en moyenne 85 000 bouteilles par an et ne voulons pas aller trop au-delà, car nous ne vinifions que nos propres raisins. Cela nous permet de tout gérer de A à Z et d’élaborer notre propre style de vins. Ce précepte nous le tenons de notre aïeul Jean et il n’est pas question d’y déroger », assure Jean-Félix.
Ce qui compte à ses yeux, « c’est mettre en avant le terroir et l’effet millésime, en recherchant la pureté des vins. Pour ce faire, il nous faut travailler avec toujours plus de précision », enchaîne-t-il. « Aller plus loin » est d’ailleurs son leitmotiv.
Esprit nature
Pendant une dizaine d’années, de 2010 à 2020, l’évolution s’est effectuée en douceur, Jean-Pierre et Jean-Félix étant bien en phase sur l’exigence d’aller vers toujours plus de naturel.
« Nous sommes certifiés Terra Vitis et HVE et nous continuons d’avancer sur le plan environnemental. Dans les vignes, cet hiver nous nous lançons dans le vitipastoralisme. Les tondeuses à quatre pattes que sont les moutons vont nous permettre de passer moins souvent dans les rangs et, outre l’apport de fertilisation, favoriser la biodiversité. En vinification, nous avons abandonné la filtration et le passage en froid. Nous sommes passés aux levures indigènes et cela nécessite toujours d’attention et de rigueur dans nos gestes. Nous avons fait l’acquisition de cuves dimensionnées pour avancer sur le travail parcellaire. Elles sont en inox, mais elles ont la forme de fûts. Certes, nous avons quelques tonneaux, mais, et c’est un choix, nos vins sont fort peu élevés sous bois. Nous produisons les champagnes que nous aimons, marqués par un côté iodé et riche de notes florales », détaille le jeune homme qui replante du pinot blanc dans l’optique de sortir un jour un « 100 % Pinot blanc ».
Il viendra compléter les sept cuvées existantes, prisées dans l’Hexagone et dans le monde entier. « Nos expéditions se font à 55 % à l’export, des USA au Japon, en passant par le Brésil ou le Danemark. Nous avons beaucoup de petits clients un peu partout et c’est important pour nous. Les importateurs sont à la recherche de champagnes identitaires et bénéficions de l’attrait pour les champagnes de vignerons », note celui qui a fait partie des fondateurs de l’association Empreintes, composée de jeunes vinificateurs de la Côte des Bar œuvrant collectivement à la création d’événements et de dégustations mettant en lumière ce secteur dynamique de la Champagne.
Jean-Félix et la précision suisse
S’il a décroché son BTS viti-oeno en Bourgogne, Jean-Félix a fait le choix de poursuivre ses études supérieures à Changins, la seule institution suisse à proposer une formation en oenologie. Outre le fait que cette école est située dans un décor enchanteur, « des rives du Léman au Mont-Blanc à l’horizon », il a apprécié le « top niveau des enseignants de cette école d’ingénieurs, certains travaillant en lien avec le MIT aux États-Unis ».
C’est une école réputée mondialement qui m’a permis de décrocher un diplôme équivalent au DNO en France. D’autres jeunes de la Champagne méridionale sont venus se renseigner sur mon parcours et ont mis le cap sur Nyon, depuis », explique-t-il, heureux d’avoir fait école. Pour information, la thèse de fin d’études soutenue à l’été 2010 par Jean-Félix, gagné par la rigueur et la précision suisse, s’intitule : « Traitements des précipitations tartriques par nanofiltration à deux étages »… Un travail de recherche très pointu.