La performance économique du champagne en 2015, même si les chiffres définitifs ne sont pas encore connus, sera globalement bonne. La hausse des volumes et surtout de la valeur masquent toutefois des réalités contrastées tant individuellement que par famille d’opérateurs. La période est moins favorable aux vignerons, plus exposés sur le marché français. Nous déplorons sept années consécutives de recul de la manipulation : une tendance qui mérite attention car elle peut impacter nos équilibres interprofessionnels. Structurellement, le harcèlement textuel et l’incontinence réglementaire amplifient cette tendance. Les vignerons se découragent devant le sentiment de vendanger, plus de normes que de raisin, de faire toujours plus de papier et moins de métier.
De plus en plus de vignerons préfèrent vendre du raisin plutôt que des bouteilles : le rapport revenu/travail semble plus équilibré sur ce marché, au moins à court terme. Mais demain ? Pas besoin d’être un économiste renommé pour voir où nous conduit cette dérive.
Le projet Champagne 2030, syndical et interprofessionnel, est plus que jamais d’actualité. Je l’ai initié il y a quatre ans, estimant que nous devions nous poser des questions de fond afin de repenser notre modèle pour l’adapter à un monde qui change. La Champagne ne peut pas rester immobile, assise sur son confort, campée sur ses acquis. C’est une intime conviction.
Les attentes des consommateurs ne sont plus les mêmes, les équilibres mondiaux ont basculé en moins de trois décennies, il se plante des vignes partout sur la planète, d’autres vins effervescents ont des stratégies de développement ambitieuses, en volumes mais aussi en qualité. La Champagne peut-elle rester sans agir ?
Par ailleurs, en interne, nous affrontons des tensions et des évolutions qui nous inquiètent. La sensation de perdre un peu nos valeurs est latente : vision à court terme, individualisme, déprofessionnalisation, absence d’implication dans le métier et dans l’appellation. Même si ces dérives restent marginales, elles tendent à se développer. Les Champenois, champions historiques de la solidarité, de la gestion collective et de l’effort partagé pourraient-ils perdre de vue leurs valeurs fondatrices et devenir des enfants gâtés ?
Avec Champagne 2030, nous avons affiché notre ambition de conserver notre position de leader. Sur l’objectif, tout le monde s’accorde : nous voulons tous que le Champagne reste en tête de course, loin devant… et à part. Mais quand il s’agit de décider des actions et des mesures que nous allons concrètement mettre en œuvre pour atteindre cet objectif, la belle unanimité des Champenois s’effrite et l’on assiste à des guerres de positions. La peur du changement prend le dessus.
Pourtant, il faut avoir conscience qu’un leader ne le reste jamais sans efforts : nous devons être déterminés à franchir de nouveaux pas qualitatifs, à améliorer nos pratiques, à investir de l’énergie et des moyens dans l’innovation et le marketing. Et tout ceci à l’échelle collective, pas uniquement au niveau individuel, car nous revendiquons tous le même nom, le label champagne. Il ne suffit pas qu’une majorité fasse de son mieux. Non, c’est l’ensemble qui doit avancer, s’impliquer et investir. C’est notre modèle collectif que nous avons à privilégier. Nous devons partager la même ambition et accepter que cela s’impose à chacun de nous.
Bien entendu, comme toujours, nous privilégierons la pédagogie, l’information, l’échange, l’accompagnement, pour favoriser l’engagement de tous les Champenois vers le même objectif : augmenter la valeur perçue et la désirabilité du champagne.
Alors, oui, prenons encore un peu de temps pour échanger, discuter, mesurer les impacts des mesures à engager avant de faire des choix. Fixons-nous des objectifs à moyen et long terme pour que chacun, à son niveau puisse avoir le temps de s’organiser et de s’adapter. Mais pour avoir la chance de revendiquer l’appellation Champagne, sur ses étiquettes ou ses raisins, chacun a l’obligation de se soustraire à la défense de ses intérêts particuliers pour viser l’intérêt général. Cela fait quatre ans que nous avons ouvert le chantier de Champagne 2030. Nous avons identifié les enjeux et nous partageons l’objectif. Après le temps des questions, il convient d‘entrer dans le temps de l’action.
C’est ce que votre Syndicat continue de faire dès ce début d’année 2016. Les nouvelles grandes régions sont là, et nous nous devions de nous prémunir du risque de voir les centres de décision s’éloigner. C’est pourquoi nous avons fait entendre la voix des vignerons pour que les services agricoles de l’Etat du nouvel ensemble Alsace-Champagne-Ardenne-Lorraine demeure à Châlons-en-Champagne. Dans le même esprit, nous ouvrons une antenne du SGV à Château-Thierry, pour permettre au vignoble d’être reconnu et entendu dans la nouvelle grande région Nord-Pas-de-Calais-Picardie. L’enjeu est grand, il faut continuer à défendre une seule et grande appellation Champagne, peu importe les organisations géographiques de nos interlocuteurs administratifs.
A côté de la défense, autre mission forte de votre Syndicat, la promotion. C’est ce que nous avons fait avec Vin & Société en lançant une grande campagne de communication, début décembre, qui reprend les repères d’une consommation responsable. C’est aussi ce que nous avons fait en convainquant les parlementaires d’adopter un article de la loi de modernisation de notre système de santé qui clarifie la loi Evin en distinguant mieux publicité et contenu rédactionnel. Après l’inscription de la Champagne à l’Unesco, après que le gouvernement a choisi de faire de l’œnotourisme un pôle d’excellence national et qu’il a signé le contrat de destination La Champagne, il nous fallait les moyens de mieux communiquer.
En cette nouvelle année 2016, mes meilleurs vœux pour vous et pour vos proches, et pour la Champagne… le vœu de l’action !