L’épopée de la capsule de champagne

Le 5 juillet 1844, le négociant châlonnais Adolphe Jacquesson dépose une demande de brevet pour l’une de ses inventions : l’association de la capsule métallique et du muselet pour le bouchage des bouteilles de champagne.Toujours utilisée et optimisée au fil du temps, cette révolution technique et qualitative est devenue un outil marketing et même un placement. À la grande joie des placomusophiles, collectionneurs en quête de capsules qui s’arrachent parfois à prix d’or.

Temps de lecture : 3 minutes

Auteur : Thierry Perardelle

Le négociant châlonnais Adolphe Jacquesson a déposé plusieurs demandes de brevets d’invention, dont la capsule et le muselet en 1844.

Le 5 juillet 1844, Adolphe Jacquesson, négociant à Châlons-en-Champagne, dépose une demande de brevet au ministère de l’Agriculture et du Commerce. Le principe consiste à intercaler une plaque entre le bouchon et le fil du lien. Cette plaque équilibre les forces et évite au liège, sous la pression, de venir s’incruster dans les fils de chanvre ou de fer utilisés jusqu’alors, ce qui provoque des fuites de gaz ou de liquide.

Comme le rappelle un article paru dans le bulletin Folklore de Champagne n° 126-127 de 1991 produit par la Société des amateurs de folklore et arts champenois, Adolphe s’inquiétait des pertes importantes dues à des causes multiples. « À cette époque, les bouteilles conservées dans les caves et celliers et celles que l’on expédiait subissaient des chocs lors des manutentions et dans les transports. Les intempéries et les changements de climat agissaient également. Dans tous ces cas, les bouteilles cassaient ou les bouchons sautaient. »

 

Le fil de fer remplace les ficelles

Le recoulage, autre cause de pertes considérables, était dû le plus souvent à la porosité des bouchons. Une bouteille était appelée « recouleuse » lorsque le bouchon laissait échapper une partie du liquide et du gaz. Le champagne s’oxydait et perdait toutes ses qualités. Pourtant, depuis des années, Adolphe choisissait ses bouchons avec soin, d’un diamètre et d’une longueur supérieurs à ceux utilisés à cette époque et, pour les enfoncer dans le goulot, avait inventé une machine à broche qui les introduisait avec force.

Croquis d’accompagnement du brevet d’invention pour boucher efficacement les bouteilles de champagne.

Un autre inconvénient majeur concernait le mode de bouchage. Dans l’humidité des caves, les liens de ficelle qui maintenaient les bouchons et les bouchons eux-mêmes pourrissaient. Ceux-ci étaient alors expulsés par la forte pression du gaz. L’idée géniale d’Adolphe pour la fabrication des capsules fut d’utiliser les plaques de fer blanc dépoli devenues inutilisables comme réflecteurs. Ces mêmes réflecteurs avaient été créés pour faire entrer la lumière naturelle dans les caves, comme on peut encore le comprendre aujourd’hui chez Joseph Perrier.

Adolphe Jacquesson fit découper à l’emporte-pièce des rondelles de la même section que le dessus du bouchon et remplaça les ficelles par du fil de fer. Ce système de bouchage s’est, depuis, considérablement amélioré et généralisé pour tous les liquides gazeux.

 

Sources : Archives municipales de Châlons-en-Champagne, Association pour le Patrimoine Industriel de Champagne-Ardenne APIC, Société des amateurs de folklore et arts champenois, Institut National de la Propriété Industrielle INPI.

Portrait photographique de Jules Guyot par l’atelier Nadar.

Ne pas oublier le docteur Guyot

Si le négociant châlonnais Adolphe Jacquesson est toujours présenté comme l’inventeur de la capsule et du muselet, il est possible d’associer à cette découverte majeure Jules Guyot, médecin, agronome et physicien, né le 17 mai 1807 à Gyé-sur-Seine et qui a œuvré de 1844 à 1857 pour la Maison Jacquesson.

C’est incontestable, Adolphe Jacquesson a bien déposé le brevet en question et quelques autres, comme celui des réflecteurs de lumière dans les caves, mais le rôle de Jules Guyot sous la direction de la Maison Jacquesson est notamment souligné par l’historienne Claudine Wolikow dans son ouvrage Le docteur Jules Guyot (1807-1872), médecin-hygiéniste, transfuge et expert des vignobles de France.

Jules Guyot est reconnu comme un inventeur prolixe, connu pour de multiples études et ouvrages sur la vigne et le vin et dont le nom résonne toujours en Champagne : tout le monde connaît la taille Guyot.

Muselet et plaque : les dates clés

  • D’après la légende, Dom Pérignon (1638-1715) a l’idée de remplacer les chevilles de bois entourées de chanvre imprégné d’huile, puis cacheté de cire, par un bouchon en liège. Cette idée lui serait venue en voyant les moines de retour de Compostelle en Espagne qui les utilisaient pour la fermeture de leurs gourdes. Un lien est alors utilisé pour maintenir le bouchon, notamment de la ficelle de chanvre.
  • Le 5 juillet 1844, Adolphe Jacquesson, négociant à Châlons-en-Champagne, dépose une demande de brevet consistant à intercaler entre le bouchon et le fil du lien une plaque.
  • En 1846, O. Delagrange fait breveter le système d’agrafe pour le maintien du bouchon, essentiellement utilisé pour les bouchons de tirage.
  • Vers 1855, pour améliorer l’opération de ficelage, l’Avizois Nicaise Petitjean fait breveter une machine. Cet appareil également appelé « cheval de bois » facilite grandement le travail de l’ouvrier ficeleur et améliore la fixation du bouchon, le bras de levier décuplant la force et permettant l’usage de liens renforcés. C’est en perfectionnant le fil de fer à ficeler, en le préformant, qu’on arrive aux premiers muselets. Le muselet, dit « le rapide », est certainement le chaînon intermédiaire que l’on pose sur une machine en utilisant toujours la pince-cisaille pour tortiller les fils.
  • Les premiers muselets sont fabriqués vers 1880 ; la trace en est donnée par les vieux catalogues des constructeurs : Hemart & Lenoir, Taillard, Lemaire.
  • Jusqu’au milieu du XXe siècle, les plaques et les muselets sont vendus séparément par les différents fabricants. La fabrication des muselets est alors essentiellement manuelle.
  • Les premières plaques imprimées apparaissent au début du XXe siècle (Pol Roger 1906, première d’une collection des millésimes de cette marque). Ce n’est qu’après la dernière guerre que les plaques et les muselets ne forment plus qu’une seule pièce.
  • Les opérations de bouchage, de ficelage, de muselage ou de museletage restent manuelles jusqu’aux années 1950.
  • Au début des années 1950, les premières machines semi-automatiques simplifient le travail du museleur qui n’avait plus qu’à positionner le muselet dans la cuvette et la bouteille sur le bloquet.
  • Dans les années 1960 apparaissent les premières machines automatiques. Les bouteilles sont alimentées par un convoyeur à chaîne et les muselets distribués automatiquement.
  • Dans les années 1970, des décaisseurs sont disposés en amont de la museleuse, automatisant complètement l’embouteillage.
  • Les fabricants ont proposé des muselets devenus des pièces de précision se décaissant et se distribuant sur des machines tournant à plus de 20 000 bouteilles par heure. Seules les entreprises ayant suivi ces évolutions ont survécu ; les petits artisans, qui représentaient plus de 20 entreprises en Champagne après-guerre, ont disparu.

 

Sources : Comité Champagne, document réalisé par Serge Valentin à l’aide d’éléments communiqués par Michel Grilliat, M. Chiquet du Champagne Jacquesson & Mme Lucienne Cocquot.

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