Le caractère très identitaire du village des Riceys imprègne ses habitants et notamment ses vignerons, forgés dans le contexte unique des trois appellations de ce vaste et emblématique terroir champenois. Administrateur du Syndicat général de vignerons, Jean-Michel Lamoureux, fier de ses racines ricetones et de ses engagements au service de la profession, nous livre son parcours en partageant quelques-unes de ses convictions et ses préoccupations du moment. Celles un homme qui met son expérience au service du collectif en misant le plus possible sur la concertation pour tendre vers les meilleures décisions.
Les murs d’une maison en disent long parfois sur ses occupants. Ceux du point d’accueil du champagne Vincent-Lamoureux aux Riceys (Haute-Rive), lovés au cœur d’une vaste et belle demeure, parlent du passé avec de vieux objets liés au travail de la vigne sobrement mis en scène, sans faire trop dans le musée. Ces murs évoquent également le présent avec, épinglées sur les boiseries, les certifications dernièrement acquises et les médailles glanées de Paris (Concours général agricole) à Bruxelles (Concours mondial) en passant par Lyon (Chardonnay du monde)…
Plusieurs des cuvées élaborées dans cette propriété, alignées côté cheminée, se sont parées d’or et d’argent en 2015 et 2016 et cela mérite d’être effectivement signalé aux visiteurs en vadrouille dans le secteur. Ils sont nombreux, Les Riceys étant une commune pour le moins atypique et attractive en Champagne.
Les plus curieux parmi les visiteurs sont toutefois attirés par quelques citations choisies, soigneusement encadrées, sur lesquelles il faut aller coller son nez pour lire des messages que le temps a un peu érodés. Et que le politiquement correct du XXIe siècle aurait tendance à totalement gommer. Exemple, avec cette citation de Louis Pasteur dont le fond bleu a terni, où le savant affirme doctement que “Le vin est la plus saine et la plus hygiénique des boissons”. Jean-Michel Lamoureux, les yeux rieurs, apprécie qu’on lise surtout la petite ligne figurant au bas de l’affiche car elle fournit la provenance du document : “Comité national de propagande en faveur du vin – Ministère de l’Agriculture”. De quoi surprendre le quidam par les temps qui courent.
Autres temps, autre mœurs ! Il n’est évidemment pas dans la nature de vigneron riceton de pousser à la consommation, il est plutôt un adepte de la modération. C’est un homme bien équilibré entre passion et raison. Mais, un tantinet taquin, il ne boude pas son plaisir d’enfoncer un coin dans la Loi Evin, excessive à ses yeux. Utiliser une référence telle que Pasteur permet de contrebalancer et, surtout, de sourire un peu.
Eléments moteurs pour être administrateur
Attention, Jean-Michel Lamoureux prend les choses au sérieux, et son engagement au service des vignerons champenois l’a conduit dans les instances du SGV où il est administrateur depuis huit ans. Il est l’un des représentants de la Côte des Bar au sein du Conseil d’administration et il s’investit dans plusieurs commissions : ODG puis Interpro. “Après avoir été suppléant, je suis passé titulaire sein de la commission technique du CIVC il y a deux ou trois ans. Nous y traitons une grande diversité de sujets, souvent poussés par les problématiques d’actualité. A commencer par tout ce qui touche à l’environnemental, tant sur les volets viticole que vinicole. C’est vraiment intéressant car nous étudions, échangeons et fournissons des avis, qui sont ensuite entérinés — ou non, mais toujours débattus — en comité technique”, souligne-t-il. Jean-Michel Lamoureux met volontiers en avant les travaux menés sur des plants de vigne plus résistants, testés au domaine de Plumecoq dans la Marne. Le plus compliqué pour lui reste la distance à parcourir entre la lisière de la Bourgogne, où il vit et travaille, et Epernay, où se déroulent la plupart des réunions syndicales. “Au compteur, cela représente plus de 320 kilomètres aller-retour pour participer à des réunions qui durent une heure ou deux en moyenne. Il faut un sacré engagement, en tout cas avoir la conviction que les intérêts et les idées de tous les secteurs de la Champagne doivent être défendus pareillement pour s’embringuer dans ce genre d’aventure. D’autant plus que la reconnaissance n’est pas toujours au rendez-vous autour de nous. Le rôle peut paraître ingrat certains jours, mais des satisfactions sont aussi nombreuses. C’est ce que je veux retenir en encourageant mon fils à jouer également la carte de l’intérêt collectif au sein du Groupe des Jeunes, pour commencer (lire en encadré).”
La question primordiale de la sécurité
Alors que plusieurs accidents d’engins, dont certains mortels, interpellent la profession viticole champenoise, le sujet de la dangerosité pour qui doit cultiver des vignes sur des coteaux très pentus — jusqu’à 60 % de pente par endroit sur sa propre exploitation —, le taraude. Spontanément, c’est le premier sujet qu’il aborde, conscient de la nécessité d’une réflexion de fond et de solutions à trouver rapidement. “Nous avons pris acte de l’arrêt des traitements par hélicoptère, mais le problème de l’intervention sur les pentes les plus aigues demeure. Nos enjambeurs ne sont pas adaptés, c’est trop risqué. A pied, les conditions sont quand même plus difficiles et on nous parle à juste titre de pénibilité pour les opérateurs obligés d’arpenter les rangs pour travailler. On amplifie d’ailleurs le phénomène avec le port des EPI (Equipements de protection individuelle). Il faut à la fois pouvoir protéger les individus et les vignes, notamment quand le mildiou s’installe…”, détaille le vigneron aubois. Selon lui la robotisation a de l’avenir. “J’ai hâte qu’on avance sur ce point”, lâche-t-il. C’est moins le coût supplémentaire de main-d’œuvre, à prendre en considération quand même, que la pénibilité évoquée, qui l’incitent à pousser ce dossier. “Nous devons réfléchir à des évolutions qui supposeront de bouger un peu la réglementation. Pourquoi pas en permettant un élargissement des rangs. Des engins plus sûrs pourraient y tracer leur chemin, sans que le conducteur ait à craindre de basculer et d’y laisser sa vie”, propose-t-il. En tout, pas question d’abandonner de belles parcelles, bien orientées, plantées depuis fort longtemps au cœur des vallons qui s’étirent de part et d’autre de la Laignes — une quarantaine, parcourus par 200 kilomètres de chemins viticoles. Cet ensemble forme le superbe panorama des coteaux ricetons. “Si les moines de l’abbaye de Molesme sont venus planter leurs vignes autour des Riceys, c’est que le secteur était propice à l’élaboration d’excellents vins. A leur époque, ils avaient identifié les meilleurs endroits et les plus pentus en font partie”, plaide Jean-Michel Lamoureux, passionné également par l’histoire de son terroir.
Rajeunir le vignoble, une priorité
Sa deuxième grande préoccupation est d’ordre plus général encore puisqu’il s’agit du “dépérissement” du vignoble champenois. “Notre vignoble vieillit par manque de renouvellement. Depuis une quinzaine d’années, il n’y a plus de plantations nouvelles et il est indispensable de se poser les bonnes questions pour l’avenir, pour le maintien d’un volume global de production sur la durée. Au niveau du CIVC on planche évidemment sur cette problématique. Il faut trouver dès à présent des moyens de rajeunir notre vignoble”, rapporte-t-il, en observant que, pour les vins de l’AOC Champagne, on n’est pas dans une logique de “forte concentration des vins apportée par les plus vieilles vignes.”
Pour lui, des pistes de réflexion doivent être largement ouvertes dans bien des domaines. “Il faut se nourrir des avis et des sollicitations formulés par les vignerons sur le terrain. Nous nous y employons au sein des instances du Syndicat en faisant remonter les points de vue, en les mettant tous sur la table, en dégageant ce qui semble être le plus important. Pour moi, cette démarche est plus stimulante que d’avoir à lutter contre les mesures qui viennent d’ailleurs, qui nous tombent dessus sans crier gare. L’administration sait faire, nous obligeant à réagir, à trouver des compromis avec elle. Mais on y laisse de l’énergie”, regrette l’administrateur du SGV. Parmi une foule de combats menés, il a encore en tête la mobilisation liée à la Directive Nitrates il y a deux ans. “A chaque fois, on est obligés de monter au créneau, d’aller dans les ministères pour y défendre la cause des vignerons et de toute l’appellation. Heureusement, on parvient quelques fois à faire bouger les lignes ! Chacun apporte sa petite pierre à l’édifice, il y a des motifs de satisfaction et des expériences enrichissantes sur le plan humain”, estime-t-il en prônant la concertation au maximum.
“Produire le plus proprement possible et prendre soin de l’environnement”, voilà des convictions également ardemment défendues par Jean-Michel Lamoureux, pour qui il faut commencer par donner l’exemple. “Nous avons fait partie des seize premiers viticulteurs certifiés Terra Vitis en Champagne”, rappelle-t-il, fier d’avoir anticipé et de s’être engagé dans cette démarche de rigueur et de transparence. “La signature Terra Vitis est devenue une référence nationale en terme de viticulture durable et raisonnée”, souligne-t-il devant le panonceau qui témoigne de cet engagement. Sur sa grille, on en découvre un autre, lui aussi assez emblématique de l’état d’esprit des Vincent-Lamoureux : Les vignerons indépendants.
Le point commun de ces démarches, c’est l’exigence d’authenticité et de qualité pour les produits élaborés, avec de réelles garanties fournies aux consommateurs. Sobre dans le discours, actif dans le métier, Jean-Michel Lamoureux est un adepte du parler vrai et de l’efficacité terrain.