La Champagne Viticole revient en deux épisodes sur ce débat au travers de questions clés posées aux juristes Étienne Benedetti, Gaëtan Batteux et à l’expert-comptable Antoine Garrido.
Quel est le rôle des experts dans le processus de transmission ?
Si on considère la transmission comme une partition, l’expert-comptable en est le chef d’orchestre. Il a pour vocation à faire le lien entre les différents experts professionnels en relation d’affaires avec l’exploitant. Le notaire apporte sa compétence sur le droit de la famille, sur les donations possibles, les estimations foncières, les baux ruraux, le testament…
Le banquier peut établir un bilan patrimonial qui sera un outil de réflexion sur la transmission dans son ensemble. Il propose des modalités de financement liées au besoin de trésorerie résultant de la transmission (fiscalité liée aux plus-values, droits de donation, rachat de parts…).
L’expert-comptable et le juriste contribuent à la valorisation de parts de société et à l’optimisation fiscale inhérente aux choix possibles. Le passage en société ou le changement de régime fiscal (ex. : IS) peuvent s’avérer nécessaires ou opportuns. Un prévisionnel de trésorerie permet d’anticiper et de mieux cerner les impacts financiers liés à la transmission.
Comment la synergie entre cédant et repreneur peut-elle être optimisée ?
Il convient de prévoir le temps nécessaire pour réunir tous ces professionnels afin d’évoquer les différentes pistes possibles avec le cédant et le repreneur et de nourrir un dialogue constructif. L’expert-comptable contribue à ce que la décision finale, qui revient à l’exploitant, soit murement réfléchie.
L’exploitation viticole, entreprise individuelle ou société, n’est qu’une des composantes du patrimoine à transmettre. L’équité familiale doit être pour le vigneron ayant plusieurs enfants, la pierre angulaire du choix des possibles.
De ce point de vue, l’expert-comptable peut jouer le rôle de garant de cette équité. Il assume souvent le rôle de conciliateur familial ou de vulgarisateur lors des échanges entre le vigneron et les autres professionnels. Face aux incidences fiscales souvent dissuasives liées à la transmission, des stratégies sont à mettre en place.
Le rôle des experts et de trouver le meilleur compromis entre l’optimisation de la fiscalité du cédant, la capacité de financement du repreneur et d’assurer la pérennité de l’exploitation viticole. Cela nécessite un temps long.
Quels outils fiscaux recommandez-vous pour faciliter la transmission viticole ?
La boîte à outils est relativement fournie. Mais ces outils s’adaptent mieux à certaines situations qu’à d’autres. Il est donc recommandé de se mettre dans une situation la plus adaptée. Et dans bien des cas, cela passe par la mise en société de son exploitation.
Sachant qu’il est plus facile de mettre en société une exploitation naissante ou peu développée, cette question doit être envisagée dès l’installation.
La société permet de louer ses vignes par bail à long terme, ce qui offre l’opportunité de les transmettre assez tôt en bénéficiant des exonérations. Comme on le sait, le Syndicat Général des Vignerons s’emploie depuis longtemps à améliorer ce dispositif fiscal. Des progrès ont été faits, l’exonération de 75 % pouvant désormais s’appliquer jusqu’à 500 000 €. Il faut continuer.
La société permet également, le moment venu, d’actionner plus efficacement le dispositif fiscal favorisant les donations d’entreprises, plus connu sous le nom de « pacte Dutreil ». Les parts transmises bénéficient d’une exonération de 75 %, sans plafond. Et si la donation intervient avant que le donateur n’ait atteint 70 ans, une réduction de 50% s’applique encore sur les droits à payer, si la donation porte sur la pleine-propriété.
Quels sont les conseils pratiques pour tirer parti de ces dispositifs ?
Lorsqu’il y a plusieurs enfants, la donation-partage, qui a par ailleurs des vertus juridiques, a l’avantage d’exonérer du droit de partage de 2,5 %. Dans certaines situations, les mécanismes de transmission transgénérationnelle permettent également d’alléger le coût des transmissions successives.
Les donations dites « résiduelles » permettent d’éviter des transmissions en ligne collatérale lorsque certains héritiers n’ont pas de descendance directe. Enfin, il ne faut pas négliger le mécanisme des dons familiaux de sommes d’argent, qui permet, à certaines conditions, de disposer d’un abattement supplémentaire de 31 865 € par part et qui peut se révéler particulièrement utile pour faciliter le règlement des soultes de partage.
Pour mobiliser les bons outils au bon moment, une réflexion suffisamment en amont est primordiale.
Dans quelle mesure les obstacles à la transmission impactent-ils les objectifs de durabilité de la filière champagne ?
Le coût des transmissions participe du recul de l’âge moyen auquel les jeunes exploitants reprennent le flambeau. Sans que cela ne soit une généralité, ce sont les représentants de la jeune génération qui portent la plus grande envie, et le plus d’énergie pour relever le défi environnemental. Dans ce sens, faciliter les transmissions, c’est accélérer la transition écologique.
Le Syndicat Général des Vignerons considère que la transmission d’une exploitation représente aussi la transmission des valeurs de la filière et de la profession : les pieds dans la terre, le savoir-faire dans le geste et la conscience de la valeur du temps, le tout dans une énergie et une organisation collective.
Toute l’histoire de la Champagne témoigne de cette pratique collective. Cela fonde notre modèle et notre réussite dont nous sommes fiers et que nous souhaitons légitimement voir perdurer. Pour le Syndicat, la maîtrise du foncier est un enjeu absolument majeur pour le maintien des équilibres interprofessionnels. La fiscalité patrimoniale frappe lourdement les transmissions familiales et incite les héritiers de vignes à les céder, faisant ainsi courir un risque de démantèlement et de disparition des exploitations familiales.
Que propose le Syndicat pour faciliter les transmissions ?
Le SGV use de toute son influence pour que les engagements pris sur l’évolution de la fiscalité pour les transmissions des exploitations dans le cadre de la prochaine Loi de Finances 2025 soient tenus.
Par ailleurs, il demande un alignement du régime fiscal des biens loués par bail à long terme sur le dispositif Dutreil relatif aux transmissions d’entreprise, soit une exonération de 75 % sans plafonnement.
Il s’agit également d’encourager les transmissions anticipées de patrimoine et de réduire de 15 ans à 10 ans le délai du rappel fiscal des donations antérieures ;
Autres revendications : autoriser une nouvelle transmission à titre gratuit à l’intérieur du délai de conservation des biens qui ont bénéficié de l’exonération pour bail à long terme et exonérer d’impôt sur la fortune immobilière (IFI) les biens ruraux loués pour au moins 18 ans à un preneur exerçant son activité à titre principal au sein d’une entreprise de taille familiale.