Jolie bouteille, sacrée bouteille…

3/01/20

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Le consommateur s’arrête toujours sur les arômes et l’effervescence du champagne, mais il oublie trop souvent de contempler son écrin. La bouteille aussi pourtant représente une merveille de technologie sans laquelle la magie du champagne n’opérerait certainement pas.

L’amphore, contenant hermétique, permettait aux Romains de produire de véritables vins de garde. Ainsi, les vins de Sorrente, près de Naples, pouvaient atteindre jusqu’à 25 ans d’âge. L’arrivée du tonneau à la fin de l’Empire, plus commode pour le transport, mais facilitant l’oxydation, a bouleversé les modes de consommation. Durant le Moyen-Âge, le bon vin sera celui de l’année…

L’histoire des verriers champenois remonte à l’Antiquité : on retrouve des traces de cette activité dès l’époque gallo-romaine aux Houis, aux abords de Sainte-Ménehould. Au Moyen-Âge, l’école de peinture sur verre de Troyes a une réputation internationale. Mais, le verre demeure un matériau rare que l’on réserve aux objets de luxe. Au XVe siècle, des artisans vénitiens, maîtres dans l’art de rendre les verres plus transparents, s’implantent à Nevers. L’usage du verre s’élargit et remplace les gobelets de terre cuite. Les aristocrates peuvent enfin contempler la robe des vins. Quant aux bouteilles, encore très fragiles, elles ne sont destinées qu’au service, ce dont témoigne la forme allongée des cols.

Il faut attendre l’usage du charbon par les verriers anglais à partir du début du XVIIe siècle pour obtenir un verre noir résistant que l’on utilisera pour la conservation des vins. La bouteille en verre marque alors le grand retour des vins de garde. De là, découle aussi l’apparition des premiers vins de Champagne effervescents chez les Britanniques.

Diffusion des techniques anglaises

En France, les nouvelles techniques anglaises se diffusent tardivement. Même en Argonne, où les maisons de Champagne s’approvisionnent dans les verreries installées sur les rives de la Biesme, on emploie encore le bois jusqu’au milieu du XIXe siècle. Il est vrai que ce centre industriel connaît à l’époque un certain déclin. Les « gentilshommes verriers » qui profitaient de ce que la verrerie tout comme la métallurgie n’étaient pas considérés comme une activité dérogeante, ont fui les persécutions pendant la Révolution. Si quelques-uns sont revenus, ils ont beaucoup de difficultés à s’adapter aux nouvelles conditions du marché. Les privilèges qui les protégeaient jadis ont été abolis.  Ils ne bénéficient plus du droit d’affouage qui les autorisait à s’approvisionner gratuitement en bois dans les forêts alentour.

L’apparition de la voie ferrée et le creusement de nouveaux canaux facilitent en revanche l’acheminement du charbon, du sable et du carbonate de soude. Les verriers peuvent désormais s’établir au plus près de leur clientèle. Sur les bords du canal de l’Aisne à la Marne de nombreuses verreries voient le jour : à Loivre, Vauxrot, la Neuvillette, mais aussi à Reims avec les établissements Charbonneaux et Courcy…

Deux innovations permettent alors d’augmenter la productivité et d’améliorer la qualité des bouteilles. La première est l’adoption dans la deuxième moitié du XIXe siècle des fours à bassin, mis au point par Siemens et qui ouvre la voie à une production en continu. Avec les anciens fours à creuset, chaque soir, les tiseurs relançaient les flammes et  rechargeaient  le mélange de silice qui fondait toute la nuit. Au matin, un crieur parcourait la cité en appelant les souffleurs au travail : « Messieurs les verriers, à l’ouvreau ! » Avec les fours à bassin au contraire, les cadences deviennent plus intenses, soutenues par une équipe de jour et une équipe de nuit travaillant chacune douze heures d’affilée.

Passage au moule fermé

La seconde innovation réside dans le passage du moule ouvert au moule fermé. Avec le moule ouvert, seule la partie inférieure était moulée ce qui expliquait le caractère irrégulier de l’épaulement et la colère des producteurs de champagne qui se plaignaient souvent des variations de contenance. Pour le reste, les verreries destinées à la production de bouteilles de champagne vont connaître une mécanisation plus lente que l’on peut comprendre en analysant les procédés d’élaboration du verre.

Le verre n’étant pas un corps simple, mais un corps composé, il ne possède pas un point de fusion précis. Aussi, sa solidification est-elle progressive. C’est ce que l’on appelle le palier de viscosité. Le problème posé par cette viscosité est le suivant : en freinant la cristallisation des composants du verre, elle génère une tension moléculaire interne très forte. Tant et si bien que si le refroidissement s’opère trop vite, le verre peut exploser. C’est pour éviter ces tensions moléculaires, qu’une fois le verre façonné, on le recuit, puis on le laisse refroidir très lentement pendant plusieurs jours. Cette viscosité ne présente pas que des désavantages : elle donne aussi le temps au verrier de mener à bien les différents façonnages nécessaires à la création de la bouteille. On notera cependant que selon la composition du verre, la durée du palier peut varier et que dans le cas de la bouteille de champagne, il est très court. En effet, le verre est composé essentiellement de silice, c’est-à-dire de sable. On utilisait par exemple dans l’ancienne verrerie de Courcy à Reims, les sablonnières de Chenay. Mais pour permettre la fusion de cette silice, il est nécessaire d’y ajouter de la soude dont la proportion peut varier entre 18 et 25 %. Plus la quantité de soude est importante, plus le palier de viscosité est long. Or, la soude est une base, elle a donc tendance à être attaquée par les vins de Champagne, très acides. La réaction peut même provoquer un trouble dans le vin. C’est pourquoi la quantité de soude pour la bouteille de champagne ne doit jamais dépasser 18 % et c’est ce qui explique toute la difficulté du façonnage de la bouteille de champagne qui doit être très rapide. Lorsqu’il ne travaillait pas assez vite, le souffleur devait souvent réintroduire la paraison dans l’ouverture du four, pour ne pas voir le verre durcir trop vite. De là, découle la plus grande difficulté à mécaniser la production des bouteilles de champagne à moins de trouver des machines aussi promptes que les ouvriers.

La mécanisation en marche

La Grande Guerre change la donne. Une partie de la main-d’œuvre est décimée. Et ceux qui rentrent, souvent intoxiqués par les attaques aux gaz, n’ont plus le souffle nécessaire pour façonner les bouteilles. La machine Boucher, créée par un industriel de Cognac, apporte une réponse providentielle aux verriers champenois. Elle permet un temps de façonnage suffisamment court pour s’adapter à la bouteille champenoise. Elle ne nécessite pas une main-d’œuvre très qualifiée et les travailleurs immigrés venus en renfort dans les années 1920 n’ont donc pas de mal à l’utiliser. Enfin, elle offre des conditions sanitaires plus satisfaisantes : un compresseur a remplacé l’ancienne canne du souffleur et les ingénieurs de Charbonneaux l’ont doté d’un système d’aération orienté vers les ouvriers, qui souffrent désormais moins de la température suffocante.

Avant l’arrivée de cette machine, les ouvriers verriers étaient en effet affectés par de multiples pathologies. Exposés à la chaleur des fours et couverts de sueur, ils allaient en plein hiver s’aérer aux fenêtres avec pour tout habit leur chemise de flanelle. Beaucoup mouraient de pneumonie. Les ouvriers se transmettaient les cannes sans en nettoyer l’embout ce qui favorisait aussi la diffusion des contagions. Enfin, en gonflant le verre à la bouche à longueur de journée, leurs joues se décollaient. On notera toutefois qu’il existait des techniques étonnantes pour accroître l’efficacité du souffle. Pour les bouteilles les plus volumineuses, les verriers plaçaient de l’alcool dans leur bouche qu’ils soufflaient dans le verre bouillant où l’alcool s’évaporait instantanément et ce gaz supplémentaire gonflait davantage encore la future bouteille. En 1930, les verreries de Saint-Gobain adoptent un brevet américain qui leur permet un nouveau gain de productivité, la machine Lynch. C’est un véritable défi posé aux verreries champenoises qui n’ont pas d’autre choix si elles ne veulent pas se retrouver dépassées que d’adopter elles aussi cette nouvelle technologie. Or, en 1919 déjà, une mission de productivité de la Chambre syndicale des industries du verre avait été déléguée aux Etats-Unis pour étudier les nouveaux procédés utilisés Outre-Atlantique. Les ingénieurs américains avaient été formels : il était beaucoup trop risqué d’utiliser leurs machines pour les bouteilles champenoises, compte tenu du faible taux de soude et du temps très court du pallier de viscosité.

Il faudra ainsi attendre plus d’un an après l’installation de la nouvelle machine à la verrerie de Courcy pour parvenir à la production de bouteilles suffisamment résistantes. Les pertes financières seront considérables. Or, dans le même temps, les ventes de champagne sous l’effet de la crise internationale s’effondrent. Les verriers forment même une entente pour contingenter leur production. Les verreries de Fourmies et de Courcy font faillite. De nouveaux acteurs en profitent pour s’introduire en Champagne : Folembray voit l’entrée dans son capital des verreries Souchon-Neuvesel (futur BSN), et Vauxrot est rachetée par Saint-Gobain. Seule Charbonneaux, qui a récupéré le matériel de Courcy, parvient à conserver son indépendance. Le monde du verre connaîtra encore à la fin du XXe siècle d’autres regroupements, répondant à l’impératif d’autres modernisations comme la machine Laurence…

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