C’est plus qu’un frémissement : la question de la régulation des plantations de vignes revient sur la table au niveau national dans la perspective des débats européens qui vont s’ouvrir sur la future Politique agricole commune (PAC). L’accord obtenu de haute lutte en 2013 ayant alors permis d’éviter une libéralisation totale et la mise en place d’un instrument efficace, avec un plafonnement annuel de nouvelles plantations à hauteur de 1 %, peut en effet exploser à l’échéance de 2030. Cela peut paraître loin, mais le SGV veut, compte tenu des enjeux, que ce dossier soit une priorité. Il se félicite que les parlementaires champenois soient à la manœuvre avec des initiatives significatives pour transformer des soutiens en de véritables actions.
Les 22 et 23 juillet, les députés européens élus fin mai, avec une nette recomposition du Parlement (lire en encadré) reprennent leurs travaux, notamment au sein de la commission permanente de l’agriculture. En ce début de mois de juillet, son président et son bureau ont été élus. Les dossiers vont être repris, mais il est encore trop tôt pour savoir si ces nouveaux parlementaires européens s’inscriront dans la trame dessinée par leurs prédécesseurs, en particulier sur la question de la régulation des plantations, laquelle constitue un sujet majeur. Pour mémoire, à la fin de la précédente mandature, les membres de la commission de l’agriculture avaient, dans le cadre de la réforme de la PAC, voté une prolongation du dispositif actuel d’autorisations, de 2030 à 2050. La commission de l’environnement, elle, ne s’était pas exprimée sur le sujet. Faudra-t-il tout recommencer ?
On ne l’espère pas en Champagne où le SGV s’est mobilisé dès le printemps dans la perspective de cette transition européenne. Dans les semaines précédant les élections, le syndicat a eu l’occasion de sensibiliser à cet enjeu plusieurs candidats d’alors, dont des têtes de liste. Les représentants de sept partis importants sont ainsi venus à la rencontre des élus SGV, et ils ont pu s’imprégner de la problématique. Il leur a évidemment été rappelé les efforts déployés pour sauvegarder la régulation en 2013. A eux de s’investir désormais. Ils pourront le faire à l’occasion des discussions sur la PAC qui reprendront cet automne au Parlement.
« Choc économique »
En attendant, la pression est maintenue et des signaux encourageants de mobilisation apparaissent, au niveau national, en premier lieu. Il y a tout d’abord une lettre ouverte que la sénatrice Françoise Férat a adressée mi-juin au président de la République et au Premier ministre. Cosignée par 59 parlementaires de l’Hexagone, dont 13 sénateurs et députés présents sur l’AOC Champagne*, elle motive la nécessité d’agir « au plus haut niveau de la pyramide de l’Etat » (lire son interview ci-après). Avec ses collègues, « conscients de l’importance économique du secteur viticole », elle affirme son « opposition à la libéralisation des plantations » et pointe clairement les conséquences qu’entraînerait immanquablement une dérégulation : « Surproduction, chute des revenus des vignerons, disparition de nombreuses exploitations familiales, standardisation, affaiblissement de la qualité des vins et perte de réputation, industrialisation et concentration, etc. » Au sein du SGV, un tel risque de déstabilisation est qualifié de « choc économique » et dénoncé sans relâche (voir le verbatim de Maxime Toubart).
Dans leur courrier au président de la République, les sénateurs et députés engagés dans le combat auprès des professionnels concluent leur propos de manière claire et ferme : « La régulation des plantations est un outil indispensable qui permet de gérer la croissance du vignoble en lien avec le développement des marchés, de maintenir une production de qualité et un tissu d’exploitations viticoles nombreuses, de faciliter l’installation des jeunes et ne coûte rien aux Etats membres. Préservons-la ! »
Pour sa part, le député Eric Girardin a, dans la foulée de ce message, demandé l’ouverture d’une mission d’information qu’il souhaite pouvoir piloter à l’Assemblée nationale (le détail de son projet à lire ci-après).
Le soutien du ministre de l’Agriculture
Enfin, et le SGV s’en félicite, dans le même temps le ministre de l’Agriculture, en répondant à une question orale posée à l’Assemblée nationale, s’est déclaré favorable au maintien de la régulation des plantations au-delà de 2030 : « Soyez rassurés, le gouvernement est tout entier à vos côtés, pour faire en sorte de proroger les droits de plantation de la filière vitivinicole de 2030 à 2050. » Et Didier Guillaume, optimiste, d’ajouter : « Il reste maintenant à convaincre l’ensemble des Etats membres pour arriver à avoir une majorité, mais je pense que nous l’aurons. »
Pour autant, le SGV attend maintenant « que ce ne soit pas une simple déclaration à Paris, mais que cela devienne une réalité à Bruxelles et dans le cadre de la réforme de la PAC en cours de discussion ».
Le syndicat rappelle en outre que « la Champagne a conditionné la réussite du chantier de re-délimitation de son aire d’appellation à la poursuite de la régulation au-delà de 2030 et que l’échéance du chantier de délimitation est en principe fixée à 2024… »
* Françoise Férat, René-Paul Savary, Yves Détraigne (Marne), Antoine Lefèvre, Pascale Gruny (Aisne), Évelyne Perrot, Philippe Adnot (Aube), côté sénateurs ; Valérie Beauvais, Charles de Courson, Éric Girardin, Lise Magnier (Marne), Jacques Krabal (Aisne), Valérie Bazin-Malgras (Aube), côté députés.
Maxime Toubart : « Avoir la certitude d’être entendus ! »
« Le dossier plantations fait partie des sujets majeurs à mes yeux. Il constitue une priorité pour le Syndicat général des vignerons et pour la Champagne. Comme nos prédécesseurs, nous nous battrons sans relâche pour éviter la dérégulation envisagée par Bruxelles.
Dans le courant du mois d’avril, à la veille des élections européennes, nous avons saisi directement les candidats afin de faire œuvre de pédagogie sur le sujet. Depuis, le scrutin a eu lieu et nous connaissons le périmètre exact du nouveau Parlement. Il nous faut poursuivre le long et patient travail visant à convaincre chacun des députés européens du bien-fondé de notre demande. Car il est inconcevable d’imaginer demain des AOC comme la nôtre ne pouvant plus disposer des outils de régulation de leur potentiel de production ! Je le dis ; le répète ; et le répèterai tout au long des années à venir jusqu’à avoir la certitude que nous avons été entendus !
J’en profite pour saluer l’initiative portée par Françoise Férat, sénatrice de la Marne, et rejointe par nombre de nos parlementaires nationaux, qui ont adressé une lettre ouverte au président de la République et au Premier ministre sur le sujet. Merci à eux. Merci pour leur engagement dont nous avons fondamentalement besoin dans le cadre de ce combat - car c’en est bien un !
Cette action vise à sensibiliser au plus haut sommet de l’Etat, mais je souhaite en parallèle interpeller notre ministre de l’Agriculture. Didier Guillaume nous a officiellement fait part de son soutien : nous apprécions ! Réellement. Mais nous attendons qu’il aille encore plus loin : Monsieur le ministre, portez cette régulation ! Défendez-la ! Faites-en une priorité ! Nous avons besoin de vous. »
Françoise Férat, sénatrice : « Tout un pan de notre économie est concerné »
© Philippe Schilde
Dans une lettre ouverte adressée au président de la République et au Premier ministre, signée par elle-même et 58 autres parlementaires (sénateurs et députés) français, la sénatrice de la Marne* a demandé « le maintien de la régulation des plantations de vignes au-delà de 2030 ». Elle explique les raisons de la mobilisation des élus des territoires viticoles.
Pourquoi avoir pris cette initiative de vous adresser conjointement au président de la République et au Premier ministre ?
Je suis co-rapporteur du budget de l’agriculture au Sénat et je sais la bonne volonté manifestée par notre actuel ministre de l’Agriculture. Nous le connaissons bien puisqu’il a siégé à nos côtés au Palais du Luxembourg avant d’être nommé au gouvernement. Il est à notre écoute et je ne doute pas de son soutien sur ce dossier. D’ailleurs, il l’a réaffirmé il y a peu, avec détermination. Mais il y a des sujets qui doivent être remontés au plus haut dans la pyramide de l’Etat. Il faut que le chef de l’Etat s’en empare et s’engage. C’est tout un pan de notre économie, en effet, qui est concerné par la problématique des droits de plantation. La dérégulation aurait des conséquences très négatives…
Votre courrier est parti mi-juin, pourquoi avoir choisi précisément ce moment ?
Le choix du moment n’est pas anodin. Pour mémoire, avant la fin de la précédente mandature du Parlement européen, la Commission de l’agriculture a fait voter un amendement dans le cadre de la réforme de la PAC visant à prolonger le dispositif de régulation des plantations jusqu’en 2050. Depuis quelques semaines, les nouveaux eurodéputés, issus des élections du 26 mai dernier, prennent leurs marques au Parlement. Il faut que le sujet soit sur la table, bien visible, compte tenu de son importance, et ce, avant même la nomination des nouveaux Commissaires européens. Nous savons tous qu’il faut battre le fer quand il est chaud…
Le débat se situe à l’échelle européenne, mais quel rôle possible peuvent avoir les parlementaires nationaux sur des dossiers de cette nature ?
Les parlementaires français connaissent les spécificités des territoires et ils peuvent très bien porter à la connaissance de leurs collègues européens les informations dont ils ont besoin pour exercer leurs mandats et voter des textes. Entretenir des liens entre nous est d’autant plus utile et nécessaire aujourd’hui que le mode de scrutin aux européennes a changé. La répartition des eurodéputés n’est plus aussi géographique que par le passé. Sur de tels sujets - on le voit à travers la diversité des signataires de mon courrier au président de la République -, on n’est pas dans la politique partisane. Toutes les sensibilités politiques se retrouvent, se mobilisent. Plus nous sommes nombreux pour interpeller le sommet de l’exécutif, mieux cela vaut. On réussit rarement seul !
Vous louez le sens de la démarche collective, mais l’engagement personnel est important. Quelle est votre détermination sur le sujet ?
Je suis sénatrice depuis longtemps (Ndlr : depuis septembre 2001) et je vis dans un département très agricole où la viticulture occupe une place prépondérante. J’ai été maire de ma commune, Cuchery, durant 25 ans. Sur les 650 hectares de son territoire, près d’un quart des terres (136 hectares, précisément) sont plantées en vignes ! Je sais les efforts déployés par les vignerons de ce village, mais aussi partout en Champagne, pour faire toujours mieux et contribuer à la réussite de la région. C’est vrai dans le domaine du développement durable, notamment. La profession viticole a le mérite de prendre à bras-le-corps les sujets sensibles. Elle se bat pour maintenir les équilibres qui participent à la réussite du champagne. On ne peut qu’encourager et soutenir cette ambition des acteurs de la filière de maintenir la qualité du terroir et du produit.
* Françoise Férat est également vice-présidente du groupe d’études Vigne et Vin du Sénat.
<h2>Eric Girardin, député : <strong>« J’ai sollicité la mise en place d’une mission d’information sur le sujet » </strong></h2>
<img class=" wp-image-25080" src="https://www.lachampagneviticole.fr/wp-content/uploads/2019/07/eric-girardin-vignes-champagne-©Philippe-Schilde.-134x300.jpg" alt="" width="192" height="430" /> © Philippe Schilde
Signataire du courrier initié par Françoise Férat destiné au président de la République, le député de la Marne* vient, par ailleurs, de solliciter la mise en place d’une “mission d’information” relative à la régulation des plantations, qu’il souhaite piloter à l’Assemblée nationale. Une manière d’aller plus loin dans l’analyse et, selon lui, de faire un véritable « focus sur la problématique ».
<strong>Vous faites partie des parlementaires champenois ayant d’emblée adhéré au message envoyé par la sénatrice de la Marne Françoise Férat au président de la République. Une telle démarche vous semble aujourd’hui nécessaire pour faire réagir et… agir au plus haut niveau de l’Etat ?</strong>
Cette lettre est bonne façon d’alerter et d’informer sur les enjeux de la régulation des plantations de vignes, particulièrement pour une filière d’excellence comme la filière Champagne, dont on sait la contribution dans la balance du commerce extérieur. Dont on sait également la valeur en termes d’image et de notoriété pour notre pays. Prendre le risque de fragiliser une telle filière économique serait une erreur. Il faut donc communiquer le plus largement possible sur la menace que ferait peser une dérégulation annoncée pour 2030. S’adresser aux personnages-clés de l’Etat (président de la République et Premier ministre), leur expliquer les risques et leur demander d’agir est nécessaire, dès maintenant. Il faut qu’ils soient non seulement attentifs, mais aussi qu’ils puissent avoir un rôle moteur au niveau européen.
<strong>Pour votre part, vous avez enclenché une initiative en sollicitant la mise en place d’une mission d’information à l’Assemblée nationale. Est-ce une manière d’aller encore plus loin…</strong>
Un rapport d’information n’est pas chose facile à obtenir. J’ai effectué la démarche auprès du président de l’Assemblée nationale et du ministre de tutelle (Agriculture) convaincu que la question de la régulation mérite que l’on effectue un véritable focus sur cette problématique. L’enjeu est national et il faut réaliser une analyse approfondie de la situation, mesurer toutes les répercussions possibles d’une dérégulation. En libéralisant, l’Europe veut ouvrir le champ des possibles, mais il faut prendre en considération les effets destructeurs de richesse. On les a vus à l’œuvre par ailleurs, parfois… Posons les choses clairement et aidons les autorités de notre pays en leur fournissant des arguments fondés pour défendre et maintenir un dispositif ayant fait ses preuves.
<strong>Vous souhaitez piloter cette mission d’information. Comment comptez-vous opérer et combien de temps ce travail va-t-il prendre ?</strong>
J’en ai exprimé la demande. Je n’ai pas encore le retour. Mais j’ai bon espoir de voir cette mission d’information avalisée. J’ai la conviction qu’il faut avancer et nombre d’élus à travers la France partagent cette volonté. Au niveau européen, des parlementaires ont, quant à eux, déjà montré leur engagement en ce sens puisque la Commission de l’agriculture du Parlement a voté une prolongation de la régulation des plantations jusqu’à 2050. Si la mission d’information que j’ai sollicitée est formalisée - parce que jugée opportune et pertinente -, nous auditionnerons les acteurs concernés à travers les vignobles de l’Hexagone. Nous irons à leur rencontre. Cela devrait prendre de six mois à un an. Après quoi, le ministre de l’Agriculture pourra, de manière très éclairée, porter le dossier au sein des instances européennes et convaincre ses homologues des Etats membres afin de parvenir à dégager une majorité autour du maintien de la régulation.
<em>*Eric Girardin est également vice-président du groupe d’études Vigne, Vin et œnologie de l’Assemblée nationale.</em>
<h3><strong>Recomposition du Parlement européen et nouveaux challenges</strong></h3>
<img class="wp-image-25086 alignright" src="https://www.lachampagneviticole.fr/wp-content/uploads/2019/07/compostion-parlement-UE-265x300.jpg" alt="" width="544" height="616" />Les cartes ont été rebattues à l’issue des élections européennes de mai. Le Parti populaire européen (PPE) dit de centre-droit et le groupe des Socialistes et Démocrates (S&D) dit de centre-gauche viennent de perdre la majorité absolue des sièges qu’ils avaient ensemble depuis 40 ans. Cette majorité était confortable pour de nombreux dossiers et notamment très importante pour le suivi des dossiers agricoles depuis la mise en œuvre du traité de Lisbonne.
Ils devront désormais trouver des compromis notamment avec le groupe des démocrates et des libéraux (ADLE) rejoints par la majorité présidentielle en France et sans doute plus épisodiquement avec le groupe les Verts/ALE. Ces deux derniers groupes se retrouvent donc en position de « faiseurs de rois » et formeront avec les deux premiers une large majorité pro-européenne face aux groupes dits « populistes ».
Pour ce qui concerne les députés français engagés sur les dossiers agricoles, Anne Sander (PPE), Eric Andrieu (S&D), rapporteur sur l’OCM, ont conservé leur siège. Irène Tolleret (ADLE) est quant à elle entrée au parlement européen. Ces trois élus - alors candidats - étaient présents à la dernière AG de la Cnaoc. Notons qu’ils avaient alors marqué leur soutien aux positions politiques défendues par les intervenants italiens, espagnols, allemands et français sur la régulation du potentiel de production.
<em>(Source Cnaoc)</em>