Quels sont les principaux défis qui vont marquer votre mandat ?
Déjà, il est important d’avoir bien conscience qu’une grande partie de l’avenir de la viticulture se joue à l’échelon européen, et notre association a un rôle majeur pour porter les revendications des vignerons.
Un des enjeux importants que nous devrons traiter, c’est la déconsommation de vin. Il faut comprendre les raisons de cette tendance mondiale qui semble s’imposer de plus en plus et trouver les bons outils pour y répondre.
Nous subissons par ailleurs des attaques sévères de la part de certaines ONG, voire de certains gouvernements et même de l’OMS avec le concept du « no safe level » qui laisserait entendre que l’alcool est nocif pour la santé à la moindre dose. Nous sommes opposés à ce principe, nous prônons la consommation modérée et responsable qui passe par l’éducation des consommateurs. Le vin a une dimension culturelle que nous devons affirmer.
Et puis il y a les questions de durabilité qui vont continuer à se poser fortement et pas seulement d’un point de vue politique, cela devient sociétal. La viticulture doit être respectueuse de l’environnement, nous devons lutter contre le dérèglement climatique tout en préservant nos modèles économiques. Je vous rappelle qu’au moment des débats sur la réduction des produits phyto qui aurait pu entraîner une baisse de production de près de 30 %, la Commission avait déclaré la viticulture comme un secteur non essentiel.
Un autre défi tiendra dans la défense des indications géographiques et des AOC, qui devront continuer à être perçues comme un modèle de développement économique, rural et social.
Mon objectif est de faire entendre notre voix dans le cadre des rendez-vous importants qui se présentent en cette année 2024 pour l’avenir de l’UE et rappeler le rôle essentiel que nos vins d’Appellation et nos viticulteurs jouent dans la préservation du dynamisme économique, social, environnemental et culturel de nombreuses régions européennes.
Quel bilan tirez-vous des différentes actions européennes dans le domaine viticole ?
Sous cette législature, on a senti un retrait de la Commission européenne sur les questions viticoles en raison de la montée en puissance de la Direction générale de la santé et de la sécurité alimentaire aux dépens de la Direction générale de l’agriculture et du développement rural. Il y a eu une approche transversale qui a eu tendance à balayer les spécificités viticoles. Le Green Deal porte essentiellement sur le volet de l’environnement et de la santé, mais avec une vision très restrictive dans laquelle les appellations viticoles ont eu du mal à se retrouver.
Nous avons vu également que dans le cadre d’affrontements commerciaux comme le dossier Airbus aux USA, la viticulture pouvait être prise en otage. Plus récemment, la Commission européenne a lancé une étude sur la voiture électrique chinoise et la Chine a lancé elle aussi une investigation sur le Cognac.
Toutefois, grâce à certaines décisions du Parlement européen et du Conseil, on a su défendre nos spécificités, ce qui montre notre capacité à agir. Par exemple, il y a eu la réforme de la PAC qui a acté la prolongation de la régulation des autorisations de plantation jusqu’en 2045 ou encore la dématérialisation des informations sur les ingrédients qui n’a été accordée qu’au seul secteur du vin. Nous avons réussi également à obtenir des actes délégués pour le Covid qui ont vraiment aidé la viticulture.
« Il faut comprendre les raisons de la déconsommation de vin, qui semble s’imposer de plus en plus, et trouver les bons outils pour y répondre. »
Le rejet du règlement SUR a-t-il signé l’arrêt du Green Deal ?
Le règlement SUR est moribond, mais il n’est pas mort. Pour autant, on voit bien que le Green Deal est attaqué. Cela a commencé avec la loi sur la restauration de la nature qui a plutôt été édulcorée par rapport au texte d’origine. En fait, c’est le côté idéologique du Green Deal qui a été quelque peu remis en question. La crise Covid et la guerre en Ukraine ne sont pas pour rien dans cette orientation. On constate qu’il y a maintenant une nécessité pour les institutions européennes d’être plus réalistes et pragmatiques. Ursula Van der Leyen a elle-même demandé une réflexion stratégique sur le futur de l’agriculture européenne lors de son discours en septembre 2023.
Pour autant, les grands dossiers portés par le Green Deal seront certainement toujours d’actualité lors de la prochaine mandature.
Justement, la viticulture est de plus en plus considérée sous le prisme de la santé. Est-ce durable et quelles sont les conséquences pour l’avenir de la filière vitivinicole ?
Je pense qu’il ne faut pas se voiler la face, il y a une réelle volonté politique de développer le volet santé. Il y a des lobbies anti-alcool très puissants et l’OMS prend continuellement la parole sur ce sujet auprès des députés européens, des États membres et de la presse spécialisée. Par ailleurs, les services de la DG Santé ont mandaté un cabinet pour mener une étude sur les messages sanitaires sur l’alcool, avec des questions qui font penser aux campagnes antitabac.
Nous avons devant nous deux années charnières et l’orientation prise par l’Europe dépendra essentiellement de la volonté affirmée ou non des États membres et de leur ministre.
L’Organisation internationale de la vigne et du vin (OIV) qui est composée notamment de scientifiques doit être mobilisée sur ce dossier.
« Nous avons devant nous deux années charnières. »
Quels sont les enjeux des prochaines élections européennes ?
Pour nous, l’important est d’avoir des députés qui sont spécialisés dans les domaines agricoles et viticoles. Sinon, cela leur prend beaucoup de temps pour comprendre les enjeux de la filière. Il faut demander aux partis politiques de maintenir ou d’envoyer des personnalités qui soient des spécialistes.
L’autre enjeu d’importance est de redonner de la force à la Commission Agri face à une Commission Envi qui est très dominante au sein du Parlement européen. Si l’on veut que le débat soit moins polarisé, il faut que les textes passent par plusieurs commissions et que l’agriculture retrouve sa place et ses compétences.
Et cela vaut aussi pour la Commission européenne, nous avons besoin d’un Commissaire à l’agriculture qui pèse au sein du collège des Commissaires.