La naissance du syndicalisme viticole en Champagne

L’assemblée générale du Syndicat Général des Vignerons a célébré les 120 ans du syndicalisme champenois avec la création en août 1904 de la Fédération des syndicats de la Champagne. Une longue histoire dialectique, avec le négoce et les pouvoirs publics qui a construit des outils de régulations inédits, garants du partage de la valeur.

Temps de lecture : 5 minutes

Auteur : Alain Julien

Si le mouvement syndical s’est structuré au début du XXe siècle dans le vignoble, on trouve les premières traces d’actions communes du côté des négociants champenois, comme cette procédure judiciaire collective en 1845 auprès de la Cour de cassation pour dénoncer certains producteurs de Touraine utilisant le terme “champagne” pour qualifier leur vin. « En effet, les vins de Champagne sont des produits fabriqués, et les lieux où on les récolte et où on les prépare, des lieux de fabrication », souligne la Cour dans son jugement, posant ainsi les prémices des futures batailles champenoises pour imposer la  délimitation.

Quelques décennies après, des négociants créent le Syndicat du Commerce des Vins de Champagne pour défendre leurs intérêts communs face aux tentatives d’usurpation.
Côté vignoble, malgré la disparité des situations des viticulteurs qui ne favorise pas le dialogue et l’entente, quelques initiatives locales voient le jour, comme à Vertus où un syndicat est constitué pour discuter du prix du raisin avec le négoce. Peu à peu, les vignerons prennent conscience de leur force face aux maisons.

« Il est certain que les négociants n’ont rien fait pour encourager les vignerons dans la voie syndicale, bien au contraire. Habitués à fixer seuls le prix de vente du raisin, ils sentaient fort bien que ce privilège leur échapperait le jour où les vignerons, groupés en syndicat, auraient pris conscience de leur force », note Pierre Piard dans son livre « L’organisation de la Champagne viticole ».

C’est le phylloxéra qui va focaliser la lutte collective. En août 1892, le fléau s’abat sur les vignes du Mesnil-sur-Oger et dans la foulée, le Syndicat du Commerce crée le Grand syndicat antiphylloxérique regroupant des exploitants viticoles.

La méthode de lutte est celle de l’arrachage des pieds touchés et la mise au repos des terres pendant six ans. Très vite, des querelles apparaissent entre vignerons propriétaires des vignes et les négociants dirigeants du syndicat accusés d’utiliser la maladie pour s’approprier des terres.

À Damery, un vigneron adepte du mouvement radical socialiste affirme que le phylloxéra « est une bénédiction pour les vignerons : il créera une pénurie de raisin et fera flamber les prix. » Ces oppositions auront raison du syndicat antiphylloxérique qui est dissous en 1896 au profit de l’Association Viticole Champenoise qui prône le greffage et soude les viticulteurs dans une lutte commune contre le puceron ravageur.
Le collectif vigneron prend forme et se structure. Il s’agit de lutter contre la fraude de négociants peu scrupuleux, de peser sur le prix du raisin et d’imaginer des outils de régulation pour pallier des vendanges misérables.

En 1901, un syndicat d’entente naît à Verzenay à l’initiative d’Edmond Bin, un artisan tailleur qui a pris fait et cause pour le sort des vignerons et des ouvriers viticoles. « Faites comme les négociants, groupez-vous. Isolés, vous n’êtes rien et ne serez jamais rien. Groupés, vous serez tout », lance-t-il lors des réunions qui peuvent compter jusqu’à 400 participants. Habilement, il en appelle à l’honnêteté des négociants pour lutter collectivement contre la fraude préjudiciable au commerce comme à la production.

Dès la vendange 1901, le syndicat local obtient une augmentation de 15 centimes sur les prix initialement proposés par les maisons. En 1902, une demande de dégrèvement d’impôt suite aux ravages d’insectes est acceptée par les pouvoirs publics. En 1903, une nouvelle augmentation de 22 centimes est acquise.
Les avancées du syndicat de Verzenay incitent d’autres communes à constituer des associations locales. En 1904, on en compte 31. Leurs représentants, Edmond Bin en tête, acquièrent la conviction que seule leur capacité à agir ensemble et de façon coordonnée sera efficace. L’idée de fédérer les associations locales s’impose naturellement.
Le 21 août 1904 à Aÿ, près de 600 délégués issus des 31 associations locales approuvent la création et les statuts de la Fédération des syndicats de la Champagne. Edmond Bin en devient le premier président.
La longue histoire du syndicalisme champenois vient de débuter.

Dans un document daté du 19 août 1904, Edmond Bin détaille les objectifs de la Fédération : « Cette Fédération a pour but d’étudier et de défendre les intérêts des vignerons, de favoriser aux adhérents la vente de leur récolte ; de concourir à la fondation dans les communes des Caisses rurales viticoles ; de traiter de toutes les questions commerciales se rattachant à la viticulture, telles notamment que l’achat en commun des plants de vigne, engrais, sulfates, soufres, instruments et vaisselle viticole, en général de toutes marchandises et matières utiles à la viticulture afin de les avoir à meilleur marché ; de surveiller les livraisons de discuter toutes révisions de tarif de douane ou de chemin de fer ; de combattre toutes fraudes préjudiciables aux intérêts des vignerons : en un mot de représenter les intérêts viticoles des adhérents, le tout conformément aux lois. Nous visons quatre points principaux :
- La suppression de la fraude afin de diminuer la surproduction, et nous nommerons au besoin dans chaque syndicat une commission chargée d’aider la régie dans ses recherches ;
- Par le marché aux vins, nous faciliterons l’écoulement des produits du vignoble, ce qui atténuera le mécontentement qui existe à l’heure actuelle contre le commerce qui, cependant, dans les années de surproduction, ne peut tout acheter ;
- Établissement de caisses régionales pour venir en aide aux vignerons afin qu’ils puissent faire leurs vendanges sans être à la merci des notaires et autres ;
– Entente cordiale avec le commerce par l’envoi d’une commission huit jours au moins avant la vendange ; commission composée d’un membre pour chaque grand cru et qui se rendra auprès des acheteurs à l’effet de discuter le prix de nos récoltes. »

Une des premières actions de la jeune Fédération a été de négocier le prix du raisin de la prochaine vendange. Une délégation d’une centaine de vignerons se présente devant la Maison Veuve Clicquot-Ponsardin à Reims dirigée par le Comte Alfred Werlé. Ce dernier demande à Edmond Bin de désigner quelques délégués qui obtiendront lors des négociations une augmentation conséquente des prix.
« Pour la première fois, négoce et vignoble ont traité d’égal à égal », souligne Yves Chauvé dans son livre « 100 ans d’Unité Syndicale », édité par le Syndicat Général des Vignerons.
Un an après, le 1er août 1905, la loi contre la fraude est promulguée. Le travail d’influence de la Fédération auprès des parlementaires et des représentants de l’État n’y est pas pour rien.

L’article 11 de la loi mentionne les mesures à prendre pour que figurent « les inscriptions et marques indiquant soit la composition, soit l’origine des marchandises, soit les appellations générales et de crus particuliers, que les acheteurs pourraient exiger sur les factures, emballages ou sur les produits eux-mêmes à titre de garantie de la part des vendeurs, ainsi que les indications apparentes nécessaires pour assurer la loyauté de la vente et de la mise en vente. »

Avec ce texte, les bases de la future délimitation de l’aire d’appellation sont posées.

À partir du 22 janvier 1909, jour de la Saint-Vincent, la Fédération publie son bulletin mensuel, La Champagne Viticole, qui portera les revendications du vignoble auprès d’une communauté de plus en plus active pour la défense de ses intérêts.

 

(Sources : Yves Chauvé, 100 ans d’Unité Syndicale ; Pierre Piard, L’organisation de La Champagne viticole, maisons-champagne.com).

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