En 1954, le SGV développe sa théorie des équilibres interprofessionnels champenois. Sur cette base, il propose aux négociants et aux vignerons de mettre en place un partenariat pour construire ensemble la réussite collective de l’appellation Champagne. A la base, le Syndicat fait un constat d’échec : la délimitation de l’appellation a enfermé les vignerons et les…
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Vendange 1954 : le difficile rééquilibrage d’un marché déséquilibré
Le 6 août, le conseil d’administration du SGV se réunit pour examiner la situation du vignoble à l’approche des vendanges. Et ce que l’on craignait depuis plusieurs mois se confirme : la récolte sur pieds est abondante dans un contexte économique défavorable. En effet, l’offre du vignoble devrait se situer entre 115 000 et 140 000 pièces alors que la demande du négoce ne dépassera pas 100 000 pièces au maximum. On peut d’ores et déjà anticiper les conséquences de ce déséquilibre : les grandes marques achèteront leur besoin dans les crus à 100 % et les autres crus ne trouveront preneur qu’à 30 ou 40 F/kg au risque, sinon, de ne pas vendre leurs raisins ou de ne pas être payés. Immédiatement, le SGV se met en ordre de bataille : le conseil d’administration décide qu’il est impératif d’organiser un blocage pour rééquilibrer l’offre et la demande. L’assemblée générale suit, mais on peut imaginer que les débats y sont houleux car le SGV se résigne à demander un blocage différentiel selon les crus : 4 400 kg/ha pour les crus les plus demandés, 3 800 kg/ha et 3 300 kg/ha. Au-delà de ces seuils, les vins n’auront pas l’appellation et ne pourront donc pas être logés au négoce.
Des informations sont rapidement diffusées pour mettre en place l’organisation ad-hoc. Les vignerons doivent se préparer à loger les excédents et doivent donc se munir de futaille. Ils ne devront pas compter sur les collectives chez les négociants car elles seront interdites. Par ailleurs, pour éviter les tentations de fraude, un affichage des surfaces déclarées par chaque récoltant sera effectué, ce qui permettra de définir pour chacun les volumes libres et les volumes bloqués et d’organiser la répartition des achats.
Mais le négoce n’est pas d’accord et, en septembre, la réunion des prix se passe particulièrement mal. Selon l’édito de La Champagne Viticole, "Le principe même de l’organisation interprofessionnelle et son existence faillirent être remis en question." Les négociants demandent un prix de 105 francs et refusent le blocage. Au terme d’une réunion interminable, le samedi, aucun accord n’est trouvé. Le lundi, le préfet de la Marne, Pierre Chaussade, provoque un électrochoc en faisant savoir qu’il n’arbitrera que si le négoce accepte le blocage. Il précise aussi que, s’il doit imposer une baisse substantielle du prix du raisin, il imposera dans la même décision une baisse du prix de la bouteille sous réserve de révision du prix du raisin. Pour éviter un arbitrage autoritaire, le négoce accepte le blocage. Et le vignoble accepte un prix de 123 francs en contrepartie d’un engagement du négoce d’appliquer une baisse du prix de la bouteille pour relancer la dynamique des ventes.
Après la vendange, on constate que les rentrées du négoce excèdent légèrement les sorties de la campagne, que les vignerons de tous les secteurs ont pu vendre et que le prix du kilo ne s’est pas effondré.
En octobre, la revue syndicale rend hommage au préfet et constate que "cette vendange comptera parmi les plus pénibles de celles qu’un homme puisse connaître". Néanmoins, l’organisation a fonctionné et "nous avons une expérience riche d’enseignements, permettant d’améliorer le dispositif s’il devait être reconduit".
En décembre, La Champagne Viticole annonce l’ouverture du marché des vins clairs et la libération des vins bloqués à concurrence de 4 500 kg/ha. Le SGV n’est pas inquiet, car la baisse des prix de vente du champagne est enclenchée et devrait permettre une relance des marchés. On observe d’ailleurs un redémarrage des ventes en France.