Vigneron à Baslieux-sous-Châtillon, Eric Taillet continue de faire parler de lui en ce mois d’octobre. Il présente, juste après la vendange, sa toute nouvelle cuvée, le Bois de Binson (lire par ailleurs), qui fait la part exclusive – et belle – au meunier. Parce qu’Eric Taillet, au-delà de chercher à produire les meilleurs vins possibles, s’est mis en tête de promouvoir le cépage cher à la vallée de la Marne.
En fin d’année 2015, La Champagne Viticole avait déjà consacré quelques colonnes à l’actualité d’Eric Taillet. Il venait, en compagnie de l’œnologue-conseil Pierre-Yves Bournérias et de quelques vignerons réputés de la vallée de la Marne, de lancer Meunier Institut, association consacrée à la promotion du cépage. Il a été naturel pour tous qu’Eric Taillet en serait le premier président. Lors de la dernière édition du Printemps des champagnes, en avril dernier, les membres de l’association avaient proposé leurs vins clairs à la dégustation en faisant le choix fort de ne pas augmenter l’offre disponible à Reims ou Epernay, mais en restant “à domicile”. Résultat : des dizaines et des dizaines de dégustateurs et journalistes spécialisés n’avaient pas hésité un instant à faire le déplacement jusqu’au pressoir de la maison Taillet, à Baslieux-sous-Châtillon.
La maison Taillet propose des 100 % meunier depuis plus de 30 ans, mais au départ, “on n’osait pas trop en parler”.
Ces dernières années, Eric Taillet prend le virage de la promotion et de la valorisation. De ses propres productions bien sûr, et, comme on l’a vu, du meunier, n’hésitant pas à souligner le nom de la maison sur les étiquettes, de la signature “producteur de meunier”. “Nous devons bien sûr, en Champagne, continuer à réaliser des assemblages, c’est propre à notre appellation, explique Eric Taillet, mais chez nous, les cuvées 100 % meunier sont destinées à être nos cuvées haut de gamme.”
Et ces flacons qui dépassent la quarantaine d’euros l’unité trouvent preneurs. Les premiers à les plébisciter ont été des chefs et des sommeliers de grandes tables. Arnaud Lallement, à l’Assiette Champenoise à Tinqueux, près de Reims, a consacré un accord met-champagne spécifique au meunier d’Eric Taillet. Et l’on ne compte plus les étoilés au Guide Michelin, partout en France et ailleurs – à Copenhague depuis la fin de l’année dernière – qui proposent des bouteilles de Taillet.
Proposer des vins exclusifs ou à large dominante de meunier, ce n’est pas Eric Taillet qui l’a décidé, mais son père, Daniel, il y a plus de trente ans. “A l’époque, on n’osait pas trop en parler, c’était un peu tabou.”
“Le meunier a toujours été considéré comme le cépage pauvre de la Champagne, mais il est le plus innovant.”
Eric a poursuivi le travail, mais il a décidé d’oser. Il a entraîné son vignoble sur la voie d’une viticulture durable, respectueuse de l’environnement, “parce que c’est la meilleure manière de respecter la vigne et le raisin”. Les désherbants chimiques sont en voie de disparition et Eric, en bon chercheur, trouve des solutions alternatives pour nourrir la terre, comme ces algues norvégiennes apportées régulièrement il y a plus de dix ans, la réintégration de micro-organismes dans le sol (Bactériosol).
Côté vinification, là aussi, Eric Taillet cherche. Système de pressurages en décalage, adapté au pressoir familial Dollat installé en 1970, petites cuves, apport du bois…
Eric Taillet, comme d’autres vignerons, se souviendra longtemps de la vendange 2016. “Les volumes ne sont pas au rendez-vous, quelques parcelles ont été gelées à 100 % fin avril, et j’ai connu comme tout le monde une pression forte en mildiou. Les anciens me disent que 2016 ressemble à la vendange 1958, avec des attaques de mildiou jusqu’à dix jours de la cueillette. Mais nous avons rentré des meuniers extraordinaires avec de belles acidités, relativise Eric Taillet. Cette vendange apportera de la fraîcheur à nos vins de réserve et nous réussirons de beaux coupages. Pour moi, c’est une grande année de meunier.”
“Je n’invente rien, je me contente d’utiliser au mieux les moyens dont je dispose.”
L’homme est peu enclin à se lamenter des volumes. Il faut dire qu’il a choisi de mettre un terme à une course effrénée qui avait surtout pour inconvénient de l’emmener régulièrement et longtemps loin de Baslieux-sous-Châtillon et de ses deux enfants, avec qui il partage sa passion pour le champagne. “A une époque, nous produisions 110 000 bouteilles par an. En 2008, je courais les salons et les foires pour vendre, on me demandait tout le temps de baisser les prix. Alors j’ai décidé de réduire la voilure et de prendre le virage de la valorisation. J’ai arrêté toutes les manifestations, je voulais me recentrer sur la production, la vigne et la vinification. Mon fondement, c’est d’être un vigneron.” S’en est suivi un investissement conséquent dans une cuverie thermo-régulée. Les fûts en bois sont de nouveau utiles, comme du temps de mon père. Le déploiement est toujours en cours. La suite logique de la réflexion a emmené Eric Taillet à s’orienter vers les cuvées parcellaires.
“Le vignoble, c’est le premier élément à montrer aux visiteurs, avant les caves, alors il faut que les vignes soient belles.”
Les sommeliers, les chefs, les journalistes spécialisés et les importateurs connaissent désormais bien l’adresse de Baslieux-sous-Châtillon. Deux Japonais étaient encore là le dimanche précédant la vendange. Fin septembre, Arvid Rosengren, le Suédois désigné meilleur sommelier du monde 2016 dégustait le Bois de Binson d’Eric Taillet. Le vigneron, lui, imagine déjà organiser des dégustations au cœur même de ses parcelles, installer une cabane dédiée au Grand Marais, vigne autour de laquelle il aimerait planter de beaux végétaux, “des pêchers de vigne, des cerisiers ; à l’époque où le Grand Marais était un verger, on y trouvait ces essences”.
Eric Taillet s’implique aussi dans l’embellissement général de son village, dont il est conseiller municipal et particulièrement en charge de la voirie. “Nous avons travaillé sur un projet pour rendre nos entrées de village plus jolies, avec des totem décoratifs, des plantations, qui permettent aussi de faire ralentir les véhicules.” Même état d’esprit concernant les routes et chemins qui amènent au vignoble. “Nous devons terminer l’aménagement hydraulique. Il faut que nos clients puissent demain accéder à n’importe quelle parcelle avec leur voiture particulière, c’est important, c’est notre avenir.” Et aussi planter des arbres sur le coteau, l’embellir. Dans l’esprit d’Eric Taillet, il faudrait que chaque vigneron puisse dire à ses visiteurs : “Venez avec moi, on va faire le tour de nos vignes”.