De création récente, la marque fondée par la famille Taisne est ancrée dans l’histoire et dans le terroir des Riceys, dont elle exprime la richesse. Pour les cinq frères et sœurs engagés dans cette aventure vitivinicole, la quête du raffinement autour d’un produit issu d’une nature préservée est une philosophie de vie. Un supplément d’âme revendiqué.
Ils sont cinq, unis comme les doigts de la main autour du vignoble familial relancé patiemment par leurs parents, Angelito de Taisne et Claude du Boys de Riocour : Amicie, Marie-Hélène, Charles, Jacques et Pierre croient en leur bonne étoile. Celle-ci figure d’ailleurs discrètement sur le galbe de leurs bouteilles, juste au-dessous des racines de l’Arbre aux trois croissants, emblème d’une famille fière de ses origines et de ses armoiries.
« Chacune de nos cuvées s’inspire de l’alliance du Ciel et de la Terre », affirment-ils dans l’élégante plaquette cousue de fil rouge qui présente sobrement leur maison et dit leur « enracinement », leur « passion du terroir ». Ils sont Ricetons, et même si la vie les a tous conduits – pour raisons professionnelles -, à s’éloigner du château de Riceys-Bas qui les a vus grandir, ils sont restés profondément attachés au village aux trois clochers et aux trois appellations.
Ensemble, très complémentaires, ils se partagent les rôles pour donner de l’éclat au Champagne Taisne Riocour né de leur volonté d’élaborer et de commercialiser un nouveau nectar au cœur de la Côte des Bar. Pour eux, c’est une jeune histoire qui s’inscrit dans l’Histoire. Leur exaltation est palpable quand ces quinquagénaires se mettent autour de la table pour évoquer cette nouvelle page champenoise en cours d’écriture, dont ils sont les auteurs inspirés. Plusieurs de leurs enfants (24 au total), déjà bien impliqués à leurs côtés, se chargeront des prochains chapitres, ils en sont convaincus.
Modernité des installations
Leur pressoir, implanté juste à l’entrée des Riceys en venant de Bar-sur-Seine, est très moderne et fonctionnel. Le siège de leur activité est sorti de terre en 2011. Son inauguration officielle s’est déroulée lors de la vendange 2012 en présence de la maman de la fratrie, Claude de Riocour. « Elle nous a quittés, hélas, peu après cet événement qui avait rassemblé autour d’elle l’ensemble de ses enfants, petits-enfants et nos équipiers », rappelle Pierre de Taisne, jolie photo de groupe à l’appui de son propos. Avec ses frères et sœurs, il insiste sur le « défi » qu’ont relevé leurs parents il y a un demi-siècle pour (re)constituer un beau vignoble dans les vallons disséminés autour de la propriété. « C’était un gros pari à l’époque. La vigne repartait seulement dans le secteur. Ici, un énorme travail a été entrepris pour remettre à flot un vignoble qui avait connu ses heures de gloires aux XVIIe et XVIIIe siècles.
Les Riceys jouissaient alors d’une forte notoriété. Nous descendons des Houet, importants négociants en vin à l’époque. » Le phylloxéra est passé par là, et patatras ! « Le finage des Riceys recensait seulement 160 ha plantés au début des années 1960, c’est-à-dire dix fois moins qu’avant la crise provoquée par l’insecte ravageur… Il fallait être plein d’espoir quand nos parents se sont définitivement installés aux Riceys. Ils y ont cru et nous ont transmis leur passion. »
Angelito de Taisne a mené une carrière d’officier dans l’armée, ce qui l’a amené à beaucoup vadrouiller. Cependant, il n’a jamais coupé le cordon avec le pays ayant donné naissance à un célèbre rosé, mais aussi à des coteaux champenois et des champagnes réputés. Tous les étés, la famille remettait le cap sur Les Riceys, s’affairant à la restauration du château autant qu’à l’entretien du vignoble familial. C’est lorsque l’heure de la retraite a sonné pour le papa, à cinquante ans, qu’il s’est investi pleinement dans l’aventure viticole avec son épouse. « Persuadés que le champagne allait redevenir le moteur économique du village et des environs, nos parents ont procédé à des acquisitions de terres et replanté des vignes en différents lieux-dits : Tronchois, Pragnon, La Forêt, etc. Sur Val Germain, nous disposons d’une parcelle d’un seul tenant de pratiquement 7 hectares », indiquent Amicie et Marie-Hélène. Elles désignent sur la carte du parcellaire riceton, accrochée au mur de leur salle de réunion, chacune des pépites composant aujourd’hui une exploitation de 18 ha sur Les Riceys. S’y ajoutent 2 ha situés sur Vitry-le-Croisé, Essoyes et Viviers-sur-Artaut. Le pinot noir se taille la part du lion : ce cépage couvre plus de 18 ha, le reste étant planté en chardonnay.
Approvisionnement circulaire
« Nos vignes s’épanouissent à la fois sur la rive gauche et sur la rive droite de la Laignes, petite rivière traversant Les Riceys. Les expositions et les terres sont différentes d’un vallon à un autre, certaines combes étant très pentues d’ailleurs. D’autres secteurs sont très caillouteux », précisent-elles, en notant qu’à la vendange, avec cet approvisionnement circulaire, le trajet pour acheminer le raisin vers le pressoir est globalement très court. Toute la manœuvre est orchestrée autour de la recherche d’une qualité maximale.
« Pour composer nos cuvées, nous pouvons jouer sur les complémentarités liées à la nature des sous-sols et à la maturité des grappes, c’est un atout pour nous », complètent les trois frères. « Avec cette répartition géographique des vignes sur le terroir riceton, nous limitons aussi le risque en cas d’aléas climatique », observent Charles, Jacques et Pierre.
Les cinq co-gérants affirment en chœur être toujours sur la « même longueur d’onde » quand il s’agit prendre les décisions importantes pour le présent et l’avenir de la société : investissements, recrutements, nouvelles cuvées… « Nous nous retrouvons aussi sur les problématiques environnementales, même si Pierre, compte tenu de son métier (l’environnement), a davantage œuvré sur la certification HVE3, obtenue en 2016 (lire en encadré) », souligne Amicie.
Pour sa sœur Marie-Hélène, le challenge, dans une configuration à cinq décisionnaires encore tenus par des obligations professionnelles exercées hors de Champagne, consiste à partager « toutes les décisions, petites ou grandes, du choix du carton d’emballage aux pratiques culturales ». « Depuis 8 ans, nous avons multiplié les “conf call” et su nous réunir physiquement autant de fois que nécessaire. Notre temps de prise de décision n’est sans doute pas le plus rapide, mais tous nos choix s’appuient sur un socle solide. Nous savons où nous voulons aller et comment y aller », assure Jacques.
« L’expression raffinée du terroir »
A titre d’exemple, la « signature » des premières cuvées a donné lieu à trois ans de réflexion, confie-t-il. Il s’agissait pour la fratrie de définir le style du Champagne Taisne Riocour, imaginé et conçu comme « l’expression raffinée du terroir ». « Nous y sommes parvenus en nous appuyant sur l’expertise et la finesse de notre première chef de cave, Isabelle Gautherot. Elle venait de Chablis et était passionnée de pinot noir. Nous avons pu mettre également à profit, avant qu’il n’intègre la maison Taittinger, la clairvoyance de l’œnologue Alexandre Ponnavoy, grand connaisseur de la Côte des Bar. Pour notre Grande réserve, il nous a notamment conseillé le passage partiel en foudre des chardonnays issus de Val Germain et de Saint-Roch. Cette vinification a apporté de la complexité, des notes briochées et beurrées à un vin dont l’expression est assez féminine, exactement ce que nous recherchions. »
La fraîcheur et la minéralité apportées par le pinot noir, colonne vertébrale du domaine, sont néanmoins la clé de « l’équilibre et de la droiture » des trois cuvées actuellement sur le marché : Grande réserve, Blanc de Noirs et Rosé de Saignée 2015. D’autres se peaufinent en cave. « Nos premiers tirages ont représenté environ 10 000 bouteilles au total. Nous augmentons notre production par paliers successifs, sans nous précipiter. En 2019, nous atteignions les 32 000 flacons. Nous allons continuer notre progression tout en maintenant nos approvisionnements vers nos partenaires que sont les maisons Ayala (Groupe Bollinger) et Joseph-Perrier. »
Pour ce faire, le Champagne Taisne Riocour s’appuie sur les compétences de Jean-Philippe Trumet, chef de cave originaire de Montgueux ayant fait ses armes dans le Bordelais et sur Laurent Maxe, chef de culture. Ce binôme fait partie d’une équipe de quatre permanents complétée de saisonniers en fonction des travaux à réaliser. La structure est épaulée sur le plan technique par Cyril Delannoy, de la Station œnotechnique de Bar-sur-Seine. « Nous travaillons tous main dans la main, équipiers, partenaires et membres de la famille. A la vendange, pas besoin de battre le rappel, tout le monde se mobilise autour de nous », concluent les cinq frères et sœurs, rayonnants de bonheur.
Photos : Jean-Charles Gutner