Au sortir de ses études, elle se voyait bien devenir, pour quelque temps du moins, une “flying winemaker”. Ces rêves d’ailleurs viticoles se sont envolés puisqu’à 24 ans, Delphine Brulez a saisi l’opportunité de s’installer en louant deux hectares de vignes, d’un seul tenant, dans la Côte des Bar. Le court moment de frustration passé,…
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Fille du pays et Fa’Bulleuses de Champagne
Noé-les-Mallets est un village enclavé avec des plateaux tout autour, dont le fameux plateau de Blu qui offre un panorama d’exception sur la région. "On n’est pas sur une route de grand passage, il faut avoir une bonne raison pour venir dans cette cuvette. Les maisons de champagne présentes en sont une. La commune, qui compte environ cent vingt âmes, est composée à 80 % de vignerons. Mais moi, j’ai fait le choix d’aller vivre dans une autre localité viticole, Couvignon, à proximité de Bar-sur-Aube", détaille Delphine, maman de deux "petits gars" : Antoine, 7 ans, et Armand, 5 mois. Son mari, Julien, n’est pas du tout dans le métier puisqu’il est responsable de la maintenance industrielle au sein d’un groupe papetier basé dans l’agglomération troyenne. Sillonnant la campagne, elle fait la route tous les jours pour rejoindre le hameau du Grand Mallet, mais la fille du pays ne limite pas son horizon au ru de Noé qui se faufile dans la campagne. Elle sillonne la région dans les grandes largeurs depuis qu’elle a eu l’opportunité, à l’automne 2017, de rejoindre le cercle des
Fa’Bulleuses. Elle y a retrouvé une autre vigneronne auboise Hélène Beaugrand (Montgeux). "Durant les études et dans notre métier, on est généralement plus habituée à côtoyer des hommes. Le vin n’est pas une question de genre. Notre association n’a rien de féministe. Notre lien numéro 1, c’est la passion qui nous anime à faire des vins différents et à les mettre en avant. L’attrait médiatique des Fa’Bulleuses est intéressant évidemment, il nous ouvre les portes de cavistes parisiens par exemple, mais ce j’apprécie le plus c’est le dynamisme, la bienveillance, le respect mutuel qui règne dans ce petit groupe porteur de projets. La diversité des terroirs champenois y est bien représentée."
L’esprit d’équipe
Au côté de Delphine, Julie Gallecier, assistante commerciale, s’occupe de la relation clientèle et de la logistique, en particulier à l’export. Elle réalise le démarchage auprès des restaurateurs du Collège culinaire de France depuis que la maison auboise a été reconnue Producteur Artisan de Qualité, par exemple. "Ce label, fondé et porté des chefs français ayant une aura planétaire (Ducasse, Robuchon, Bocuse, Savoy, Pic, etc.), nous a ouvert des portes. Très vite, une bonne dizaine d’établissements ont commencé à s’approvisionner chez nous, dont l’étoilé parisien Alliance, du chef japonais Toshitaka Omiya", se réjouit celle qui a donc la charge de "dynamiser les ventes".
David s’occupe des diverses opérations menées dans la cave, avec l’aide de Delphine dans les coups de bourre. Parce qu’elle aime le grand air, on la retrouve souvent aux commandes d’engins dans les parcelles aux côtés de Franck et Fred, employés à plein temps pour bichonner les vignes. S’ajoute à cette petite équipe bien rodée un stagiaire et des saisonniers qui viennent apporter leur contribution dans les temps forts de l’activité. "Nous n’avons pas de problème pour trouver des équipiers. Pendant les vendanges, on loge et on nourrit une partie de l’effectif. Depuis vingt ans, une famille de gens du voyage nous rejoints également. Notre relation, construite dans le respect mutuel, est durable", observe Delphine Brulez, laquelle a le sens du management et intégré la notion de RSE. "Dans une entreprise, tout doit se construire sur des bases solides". Sa sœur Elsa qui a travaillé un temps pour la maison Brison (VIE en Amérique du Sud) a également intégré ces concepts. Elle les met à profit dans une activité bien différente : la production 100 % naturelle de pâtes à base de blé dur sur la ferme des Trois-Vallons (Bragelogne-Beauvoir).
<h3><strong>Une belle histoire enfantée dans la douleur</strong></h3>
L’amnésie n’est pas une pathologie qui guette les Brulez. Ils savent d’où ils viennent et tout ce qu’ils doivent à leurs aïeux. L’opiniâtreté à cultiver la vigne de Louise est un exemple pour eux. "Cette femme a connu le phylloxéra, 14-18, la grippe espagnole, énumère son petit-fils. Elle a perdu une de ses filles et son mari s’est suicidé au retour de la guerre." Jamais pourtant cette allemande d’origine, naturalisée française, n’a abdiqué, preuve d’un caractère fort. "Elle avait quelques ares de vignes et elle allait vendre le vin produit dans la vinée qui existe toujours", ajoute Delphine. "Une très belle année, elle a eu l’opportunité de passer par un courtier qui, au final, ne l’a jamais payée. On peut dire qu’elle était abonnée au malheur", constate Francis en évoquant aussi son père Germain Brulez, dont "l’histoire est un peu du même tonneau". Sept jours après sa naissance, sa mère décédait et il était élevé à la dure par une de ses grands-mères. Epousant Antoinette, fille de Louise dans les années 1940, il s’est lui aussi accroché aux lopins de vigne léguée par Madame Brison et s’est efforcé de faire fructifier cet héritage. Une belle histoire enfantée dans la douleur.
<h3><strong>Six ans de stocks idéalement abrités </strong></h3>
<img class="alignleft wp-image-16735" src="http://www.lachampagneviticole.fr/wp-content/uploads/2018/06/Louise-Brison-©-JC-Gutner-2-300x200.jpg" alt="Portrait de Delphine Brulez et de son pere du Champagne Louise Brison a Noe les Mallet dans l Aube" width="475" height="316" />
Chez Louise Brison, en cave, les vins restent sur lattes durant un minimum de cinq-six ans, ce qui est largement plus long que la durée légale imposée par le cahier des charges champenois. Un choix. "Certes, c’est beaucoup d’immobilisations, et, financièrement c’est un poids. Au début, d’ailleurs, les banquiers ne comprenaient pas bien pourquoi notre stock était si important. Ils ont fini par admettre que c’était totalement inhérent à la politique de l’entreprise. Et ils ont été rassurés par le fait que nous vendons bien et que nous parvenons à mieux valoriser nos bouteilles au final." Il faut accepter que le produit de la récolte soit… quelque peu différé. Là encore, il faut intégrer la vertu de la patience. La dernière construction réalisée sur le site reflète la démarche eco-responsable déployée dans les vignes et en vinification puisqu’il s’agit d’une extension réalisée en souterrain. "Si nous avions fait le choix d’un bâtiment en aérien, il aurait fallu le climatiser. Nous avons préféré bénéficier d’une température naturelle à dix degrés en permanence, en sous-sol. Cela évite de consommer de l’énergie, de dépenser de l’argent dans la durée, pour conserver les quelque 200 000 bouteilles que nous abritons dans la pénombre de nos caves. Ce stock représente six années de vente. Oui, quand on fait un tel choix, il faut avoir les reins solides !", argumente la jeune chef d’entreprise.
<strong>Un GFV pour conduire les nouveaux projets</strong>
Elle précise aussi sec qu’avec son père, elle est toujours à l’affût des évolutions économiques, financières et juridiques. Une agilité d’esprit qui doit se transmettre dans l’ADN de cette famille. "A titre d’exemple, nous avons monté un groupement foncier viticole (GFV) afin de financer nos projets avec l’aide d’associés visiblement heureux de participer à cette belle aventure à nos côtés. Il y a quelques Belges et Italiens, mais surtout des Français désireux de diversifier leur patrimoine. Ce sont surtout des passionnés de vin", constate Delphine, en expliquant qu’ils trouvent là, pour l’équivalent d’un placement sur un livret A, l’occasion de se faire plaisir. Pour la soixantaine d’associés recensés, la rémunération s’effectue en nature (un bel assortiment de bouteilles) et tourne autour de 4 %. Pas si mal par les temps qui courent. "Qui plus est, nous passons de bons moments de convivialité en ensemble", précise-t-elle, satisfaite de voir que la relation établie va au-delà de la mise de fonds. Cerise sur le gâteau, tous ces actionnaires, qui adhèrent à l’image et au projet Louise Brison, s’avèrent être d’excellents prescripteurs de la maison. "C’est un challenge que nous avons su relever et je ne doute pas qu’il y en aura d’autres", note l’audacieuse vigneronne de Noé-les-Mallets, décidée à développer encore la société. "Nous sommes aussi des gestionnaires", lâche-t-elle en montrant les gyropalettes installés dans la cave à la place d’antiques pupitres. Ces outils font moins rêver que l’image traditionnelle du remueur au regard vissé sur les bouteilles inclinées, mais ils permettent de concentrer les moyens humains sur d’autres tâches. De tels investissements sont vite rentabilisés".