« Je suis libre ! »

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Cœur, passion, travail, conversion bio et la tête encore pleine de projets. Que de chemin parcouru pour Elise Dechannes, ancienne banquière, aux commandes des vignes familiales depuis 2008. La talentueuse vigneronne révèle différents terroirs des Riceys et une saine philosophie de vie.

elise dechannes 4441955. Hubert et Germaine, les grands-parents d’Elise sont agriculteurs et commencent à acheter et planter des vignes, de façon anecdotique.
1967. Roland et Chantal, parents d’Elise, s’installent et achètent des terres et débutent les plantations. Ils continueront de s’agrandir jusqu’en 1985.
1973. Les parents sortent leurs premiers champagnes, petite production de 1800 bouteilles.
2008. La production atteint 75 000 bouteilles. Elise rejoint le domaine.

Pourquoi et comment ce retour au domaine ? « Je suis tombée dedans quand j’étais petite, j’ai grandi en même temps que l’exploitation de mes parents, en participant aux travaux viticoles, à la vente de champagne, j’adorais notre vie », raconte Elise Dechannes, « le décès de maman en 2002 a été un électrochoc ». Celui qui rappelle que la vie est trop courte.

« Etre en phase avec qui nous sommes profondément »

Le retour aux sources s’impose. En 2005, Elise démissionne de la banque et se forme aux métiers de la vigne et de la vinification, décrochant le BPREA (brevet professionnel responsable d’exploitation agricole) au CFPPA de l’Aube Saint-Pouange et à Bar-sur-Seine. « Lors de cette formation je découvre la vie des sols, les actions à mener, enfin le pourquoi et le comment. Fabuleux ! se souvient Elise, le retour aux sources devient évident, parce que cela me tient à cœur depuis toujours, parce que notre vie est précieuse et que d’après moi il faut la vivre en respectant qui nous sommes. »
Le cœur et la motivation sont le moteur de ce retour, en 2008, aux commandes de l’exploitation familiale. Avec une flopée de questions, de soucis et un énorme travail. « Le plus agréable : enfin j’ai le sentiment d’être à ma place. Retour aux sources, contact avec la terre, le vivant. Je suis libre ! », s’enthousiasme Elise.
Et le plus difficile ? « Je cours partout, tout est à faire et à apprendre, beaucoup de travail, les enfants sont petits, il faut jongler tout le temps. Excitant et épuisant ». Et la transition générationnelle s’effectue du mieux possible : « Liberté totale, confirme Elise, mon père ne s’est jamais immiscé dans ma façon d’envisager mon travail. »

« Ne pas massacrer les sols ne pas détruire la vie »

« J’ai pris de nouvelles orientations dès le départ, notamment dans la gestion de la vigne. J’ai utilisé du désherbant une seule et dernière fois au printemps 2008. Je ne voulais pas massacrer mes sols, détruire la vie. La gestion de l’herbe a été de loin le plus difficile. Donc il a fallu investir rapidement dans des interceps. Et entre temps, nous avons tenté de ″maîtriser″ l’herbe en utilisant raclotte et débroussailleuse. Mais nous n’avons pas réussi tout de suite, nous étions plutôt enherbés sauvagement ! Cela m’a valu beaucoup de commentaires désobligeants, mais maintenant c’est ok on gère », explique-t-elle.
Dans ce même état d’esprit, la vigneronne limite les doses et le nombre de passages pour traiter la vigne contre les ravageurs, « toujours dans le but de faire mieux en mettant le moins d’intrants possible, car ces produits de synthèses sont dangereux pour l’homme et la nature. »
Elise s’applique également sur la taille de la vigne, très importante, « en respectant le cep, en faisant une taille adaptée à sa vigueur, en ne laissant pas trop d’yeux pour ne pas charger inutilement. Et pour obtenir au final des raisins de qualité ». Toujours dans le but de limiter les intrants, l’ébourgeonnage mis en place depuis deux ans permet d’aérer les plans. Ils sont ainsi moins sujets aux maladies et les traitements se limitent. « Je privilégie aussi un palissage soigneux, avec des pampres aérés », continue Elise.
Moins d’engrais pour ne pas doper la vigne, « c’est une plante qui a une croissance rapide, elle est donc fragile et sensible aux maladies. Si on la dope on la fragilise, mais ce n’est pas grave nous avons beaucoup de produits phytos pour y remédier (sarcasme bien sûr…) D’autre part si on donne à « manger » aux plantes, les racines ne vont pas chercher les éléments dont elles disposent en bas, plus profondément ».
La vigneronne encourage aussi les labours et griffages, « afin de favoriser la vie des sols et de faire pénétrer l’eau. Cela évite le ravinement de la terre, oblige les racines à plonger plus bas pour trouver les éléments minéraux dont elles ont besoin ».


Terr’Avenir et conversion bio

Elise entourée de ses collaborateurs Paul et Véro

Elise entourée de ses collaborateurs Paul et Véro

Que de chemin parcouru en quelques années. Mais Elise Dechannes va encore plus loin. Afin « d’honorer son contrat avec la terre », elle s’inscrit dans une démarche durable, responsable et engage la conversion biologique de sa vigne.
Tout d’abord, pourquoi rejoindre Terr’Avenir, association d’agriculteurs et viticulteurs ? « Parce que je revendique la volonté de bien faire. Il s’agit aussi de gérer le risque environnemental. Autrement dit, avons-nous mis en place les moyens nécessaires en cas d’incendie, de fuite de cuve à fuel, de débordement de la pulvé ? Comment sont traités les déchets (pneus, filtres à huiles, à gasoil, etc.) ? Il s’agit donc, insiste Elise, de mettre en place des dispositifs pour pouvoir gérer de tels évènements le mieux possible. »

Se coller aux contraintes administratives
Être membre de l’association Terr’Avenir et certifié Iso 14001 implique « des formations sur la gestion de crise, sur les assurances (nos besoins sont-ils couverts en cas de pépin ?) sur la gestion du personnel, le document unique, le compte de pénibilité au travail… Et la mise en place de ces dispositions sur le site ». Encore beaucoup d’énergie et de temps passé mais, poursuit Elise, « les contraintes réglementaires sont tellement importantes qu’il me paraît indispensable de s’y coller. Et donc autant le faire dans un cadre. »
L’association Terre’Avenir travaille avec un organisme certificateur Iso14001, lequel valide un engagement total en matière de management environnemental. Elle aide aussi à la conduite et à l’encadrement des tâches et normes administratives.

Encore plus loin…
Débutée en septembre 2015, la conversion en bio s’affirmait aussi, pour Elise, comme une évidence. « Utiliser du chimique m’a toujours posé un problème, depuis le départ. Le décès de maman n’y est bien sûr pas étranger. Les cancers, les maladies auxquelles nous devons faire face, trop tôt, je pense que c’est lié à une utilisation outrancière du tout chimique. Je ne veux plus, je ne peux plus participer à tout cela. Je suis une terrienne, une productrice et il me semble primordial de prendre conscience de notre responsabilité. »
Être en accord avec sa conscience et toujours faire mieux motive l’énergique vigneronne. « Bien sûr que je vais encore évoluer, prévient Elise, par exemple en cuverie, je testerai aux prochaines vendanges l’ensemencement de mes cuves avec des levures issues de mes raisins, et non plus des levures sèches déshydratées. Dans les vignes, je vais expérimenter le tressage des pampres afin d’éviter les rognages (donc le tassement des sols) et favoriser la qualité du raisin. Car la vigne est une liane, elle monte vers le ciel, lorsque nous couchons le pampre, nous ralentissons la pousse, et donc la sève se mobilise sur le raisin. »

« Je laisse mes vins plus tranquilles qu’avant »
Du bio à la biodynamie, il n’y a parfois qu’un pas (néanmoins pas si simple que ça). « Je suis en conversion et attaque aussi, directement, la biodynamie (prêle, 500…). J’ai découvert le mécanisme des molécules, naturelles et de synthèse ». La vigneronne n’est pas technicienne, « j’ai appris sur le tas et au fur et à mesure », mais agit et décide en fonction de son ressenti : « Je laisse mes vins beaucoup plus tranquilles qu’avant… Je déguste souvent et « j’écoute » le vin, je ne force rien ».
Elise fait donc confiance à ses observations dans les vignes. Cela se confirme notamment lors des vendanges, « je n’effectue pas de prélèvements ni d’analyses, je décide en fonction de ce que je vois et perçois. » Le stress est bien sûr présent, « mais je trouve qu’on devrait davantage écouter ses émotions et son instinct. »
Une liberté assumée, possible aussi grâce à l’efficace réseau MATU (suivi de l’évolution des raisins) qui permet de bien se situer. « Un outil très utile pour cibler la meilleure date de vendange et affiner ses choix ». 


elise dechannes 555« Le verdict est dans les bulles »

Elise Dechannes touche à tout, fait des choix stratégiques et gère la partie administrative « qui est la plus pénible », avec des contraintes réglementaires de plus en plus lourdes.
N’oublions pas la commercialisation (à domicile, salons, export), le choix des investissements, des traitements et dates d’intervention, la vinification, et tout ce qu’il faut faire pour que ça tourne… Et, car ça n’arrête jamais, « il y a encore beaucoup de choses à mettre en place… »

Être une femme, est-ce un handicap ? : « Je ne crois pas. Je fais mon métier avec passion, avec mes valeurs, mes envies, mes tripes, mon âme. C’est une force. J’ai été jugée, critiquée, mais c’est lié à mes pratiques culturales et à ma façon d’être et non pas à mon statut de femme. En revanche avec ma clientèle, mon statut de femme est valorisé. Ils reconnaissent mon combat. La reconnaissance vient de l’extérieur, le verdict est dans les bulles ».

Sept parcelles, sept terroirs : « Nous avons un terrain tellement vaste ici, on a vraiment matière à faire de belles choses. Je travaille sept parcelles et pour le coup sept terroirs différents. J’ai aussi pris en marche le train d’Olivier Horiot et d’Arnaud Lamoureux, avec l’objectif de proposer ensemble, mais chacun avec notre parcellaire bien sûr, de futures cuvées « Terroirs » travaillées en fûts de Bourgogne. Ce projet a débuté il y a trois ans. Nous limitons les interventions et laissons le vin s’exprimer. Nous vinifions chacun deux de nos terroirs dans les mêmes conditions, et le résultat permettra de bien cerner les différences de sols avec une mise en vente dans deux ou trois ans. On laisse vieillir gentiment ».

Coups de cœur : « Notre terroir Champs Méchain (où naît la cuvée haut de gamme Cœur de Noir) mais aussi Nasserons, Nogent, Val Mousse, Val Preuses… J’effectue d’ailleurs des analyses car je souhaite bien connaître et comprendre mes contrées, isoler les différents types de terroir ».

Encépagement : 95 % pinot noir, 5 % chardonnay.

Cuvées : pratiquement que des blancs de noirs, mono cépage ou assemblages. Seule exception : un millésime blanc de blancs né sur petite vigne de chardonnay.

Tarif grand public : de 15 euros (cuvée Tradition) à 32 euros (Cœur de Noir).

Production : « En 2010, j’ai vendu 700 bouteilles. En 2015 j’en ai vendu 15 000. Je n’ai pas d’objectif optimal, je souhaite évoluer gentiment, en faisant de belles cuvées et en me faisant plaisir ».

Gestion du domaine : « J’ai deux salariés à temps complet (Paul et Véro). Une chouette équipe sur laquelle je peux compter. Ils sont tous deux autonomes et prennent des initiatives, je m’appuie sur eux. Ils sont principalement dans les vignes et adhèrent complètement à la philosophie de la maison. Grand confort ! Du coup, nous travaillons ensemble avec la même envie ».

Quelles bulles ? « Je recherche la beauté, la finesse, un joli moment, un plaisir, un équilibre, un partage ».

Le dosage ? « Je vise clairement un bel équilibre, c’est la dernière touche pour lui donner son caractère définitif. Les dosages sont fonction de chaque année et de chaque cuvée ».

Rosé de saignée : « Mon rosé est fait par macération, dans une cuve inox, 100 % pinot noir, 100 % terroir (pas toujours le même, cela dépend des années). Le raisin est encuvé, foulé, levuré avec deux ou trois remontages par jour, il est saigné quand il me plaît pour le goût et la couleur. On décuve, on presse et le jus de presse rejoint le jus macéré. Les malo sont faites également sur le rosé ».

Rosé des Riceys : « Je proposerai, dans les années proches, du Rosé des Riceys si l’année s’y prête bien sûr, à l’image du splendide millésime 2015. Je me suis d’abord appliquée, en priorité, à bien travailler mes vignes, à bien faire mon champagne. Je ne voulais pas me disperser ».

Et concernant l’AOC Coteaux Champenois ? « Pas tout de suite ».

Le plus difficile ? « C’est le temps qui me manque pour faire tout ce qui me tient à cœur ».

Le plus réjouissant ? « J’adore ce que je fais, la façon dont je le fais, j’apprends beaucoup, j’observe et je travaille avec mon ressenti. C’est un luxe de faire ce qu’on aime ».

Où trouver les cuvées Elise Dechannes ? Chez quelques cavistes, Dilettantes à Paris, Et si Bacchus était une femme à Paris, la Maison du goût à Rouen, Le clos Napoléon à Fixin, La Parenthèse à Belle-Île-en-Mer en Bretagne. Et aux Riceys bien sûr !

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