« En Champagne, le coût de la transmission du foncier d’une exploitation moyenne représente 5,4 années de son résultat courant avant impôts. Pour un bailleur, il s’élève jusqu’à 28 années de revenus locatifs.
Notre métier est de faire du vin, pas de vendre des vignes, c’est pourquoi nous appelons les pouvoirs publics à une juste fiscalité de la viticulture », a expliqué Maxime Toubart, président du SGV et vice-président de la Cnaoc, lors d’une conférence de presse le 22 octobre à Paris réunissant Jérôme Bauer, président de la Cnaoc et les présidents des fédérations régionales de Bourgogne et de Bordeaux, Thiébault Huber et Jean-Marie Garde.
Le prix du foncier dans l’AOC Champagne a été multiplié par 3,2 en 20 ans avec un prix moyen de l’hectare d’environ 1 million d’euros. Par ailleurs, il apparaît que 63 % des vignerons champenois ont au moins 50 ans et vont être confrontés à moyen terme à la problématique de la transmission avec des risques de morcellement, voire de disparition de leur domaine.
« Chaque année, environ 120 hectares sont mis en vente à des prix résultants de la pression de structures qui possèdent suffisamment de capitaux pour capter du foncier. Et c’est la valeur de vente de ces 120 hectares qui va fixer le prix des vignes transmises. Or, cette valeur est décorrélée de la rentabilité économique des exploitations qu’elle surpasse largement. Autrement dit, les coûts de la transmission de l’exploitation sont disproportionnés par rapport aux revenus qu’elle génère. Si rien n’est fait, des générations entières de vignerons risquent de disparaître, et nos vignobles deviendront des actifs financiers, détachés de leurs racines locales », a-t-il souligné.
Maintenir un modèle paysan
Selon la Cnaoc, le nombre de vignerons ne cesse de baisser en France depuis 2010 : -3 % en Champagne, -5 % en Charente, -14 % en Bourgogne, -17 % à Bordeaux et plus de 20 % en Alsace. « Le prix des terres s’envole et les familles vigneronnes ne peuvent plus en vivre. Parce que la terre est bien un outil de travail et non pas un outil de spéculation, nous réclamons la même fiscalité que pour la transmission d’entreprises régie par le Pacte Dutreil, c’est-à-dire un abattement de 75 % sur la fiscalité de la transmission des entreprises familiales sans plafond », a plaidé Jérôme Bauer.
Actuellement le dispositif prévoit une exonération de 75 % des droits de mutation à titre gratuit jusqu’à 500 000 € en faveur des biens ruraux loués à long terme en contrepartie d’une conservation des biens de 10 ans. Mais si la loi a évolué de façon favorable, elle s’avère insuffisante pour répondre aux spécificités de la viticulture. « Avec ce dispositif, à raison de 1 million l’hectare, pour racheter les vignes à ses parents, un enfant repreneur doit verser 150 000 euros à l’État, avec la mesure que nous défendons ce serait 50 000 euros », a souligné Maxime Toubart.
Pour sa part, Jérôme Bauer a insisté sur la nécessité d’assouplir aujourd’hui la fiscalité des transmissions intrafamiliales : « C’est maintenir un modèle paysan au sein de nos structures qui sont transmises de génération en génération, c’est soutenir la trésorerie du repreneur aussi afin de pouvoir moderniser l’outil, innover et assurer la transition agroécologique. C’est aussi maintenir un tissu socio-économique rural. »
ÉVOLUTION DU PRIX DES VIGNES AOP ENTRE 1991 ET 2023
Projet de loi de finances pour 2025
Les attentes sont d’autant plus fortes que des promesses ont été faites récemment. À commencer par celles de l’ancien ministre de l’Économie, Bruno Le Maire à l’occasion d’un déplacement en Champagne en janvier 2024 avec la proposition d’une hausse de l’abattement des baux à long terme à hauteur de 600 000 euros. Puis celles de l’ancien ministre de l’Agriculture, Marc Fesneau lors de l’examen du projet de loi d’orientation agricole et l’engagement du gouvernement Attal de faire des propositions d’allègement de la fiscalité sur les transmissions.
Ces propositions ont été renvoyées au projet de loi de finances pour 2025 qui propose une exonération de 75 % avec un seuil porté à 600 000 €, sous condition de conservation des biens pendant 10 ans, mais si et seulement si le bail a été conclu avec une personne justifiant de l’octroi des aides à l’installation des jeunes agriculteurs. Une disposition décriée par les organisations viticoles qui rappellent que la grande majorité des vignerons hérite des exploitations familiales après 40 ans.
Après le passage à l’Assemblée, le projet de loi de finances est transmis au Sénat pour une nouvelle lecture. La navette parlementaire entre les deux chambres s’achève autour du 21 décembre 2024, date limite fixée par la Constitution pour l’adoption du budget. En cas de désaccord persistant, l’Assemblée nationale aura le dernier mot.
Le budget 2025 devra être promulgué par le président de la République et publié au Journal officiel au plus tard le 31 décembre 2024.
Alain Julien avec Gaëtan Batteux, SGV